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ANNÉE. 1841. — SECONDE PARTIE.
IMPRIMERIE DE L. DANEL.
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AGRICULTURE ET ÉCONOMIE RURALE.
RAPPORT
Fait à la Société royale des Sciences , de l'Agriculture et des Arts,
SUR LA QUESTION DES BESTIAUX,
Par M. Thém. Lesrisoupois, député du Nord membre résidant.
SÉANCE DU 13 AOUT 1841.
L'une des questions qui préoccupent le plus vivement les économistes, les manufacturiers, les agriculteurs, le gouverne- ment, c’est assurément celle de l'introduction des bestiaux étrangers en France. Elle agit d’une manière directe sur le sort des classes laborieuses; elle agit d’une manière non moins cer- taine sur le sort de l’agriculture; elle peut exercer une influence puissante sur les alliances de la France, sur le bien-être de la paix, sur les ressources de la guerre. Elle est donc, tout à la fois, sociale, économique et politique.
Cette question est si complexe, qu’il n’est pas étonnant qu’elle ait été résolue dans des sens différents par des hommes d’une grande valeur intellectuelle. Lorsqu'on entre dans son examen, mille difficultés surgissent à chaque pas; mille faits contradictoires se heurtent et se croisent ; rien de plus difficile donc que de porter un jugement, et rien de plus utile, par conséquent , que d'analyser les faits , les coordonner, les mettre
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en leur place logique pour les juger équitablement. Ici, comme dans toutes les malières abstraites, l’ordre analytique est le plus indispensable, le plus puissant moyen d’obtenir une solu- tion satisfaisante. Nous allons donc essayer de poser nettement les questions et d'exprimer méthodiquement les faits, dont les conséquences rigoureuses doivent amener une détermination définitive. Nous aurons fait beaucoup pour la solution qu’on réclame , si nous résumons avec clarté les divers éléments qui doivent la donner.
Un grand fait a été signalé : la cherté de la viande, surtout dans les villes, surtout dans la capitale. Les conséquences de ce fait ont été considérées comme éminemment funestes pour les classes laborieuses et pour la production nationale; ces consé- quences sont les diminutions successives dans la consommation.
Les causes de ce fait dominant, la cherté de la viande, ont été diversement appréciées, mais celle qui a été déclarée agir le plus efficacement , ce sont les droits qui pèsent sur les bestiaux qui nous viennent de l'étranger.
Le remède enfin qui a été indiqué, c’est la suppression ou la dimivution des droits. C’est, à notre avis, restreindre beaucoup trop la question. Essayons d'apprécier, à sa juste valeur, et la cherté dont on se plaint, et son influence générale sur le sort des classes ouvrières, et ses causes réelles, et les moyens qu’il faut employer pour la faire cesser.
CHERTÉ DE LA VIANDE.
L'enchérissement de la viande est un fait incontestable; mais cependant, il n’est pas tel qu'on se plait à l’annoncer, et surtout il n’est pas arrivé aux époques où il aurait dû se faire sentir, s’il reconnaissail pour causes essentielles, celles qui ont été
(4 exclusivement indiquées. La première chose à faire, pour arriver à la solution de la grande question que nous étudions, c’est donc de préciser la hausse des prix et d'indiquer les années pendant lesquelles la cherté de la viande s’est fait sentir.
D’après les mercuriales citées par M. le comte Daru, dans le discours très-remarquable qu'il prononça à la chambre des pairs, le 20 avril 1840 , les prix moyens de la vente, sur pied, étaient :
De 1819 à 1829 de 0,48 c. la livre. De 1830 à 1839 de 0,50 —
Différence.... 0,02
D’après le discours prononcé à la chambre des députés, le 27 mai 1841, par le ministre du commerce, le poids moyen du bœuf , en 1834, était de 350 kil. ; il se vendait 315 fr. , ce qui donnait un prix de 0,90 pour le kil. de viande sur pied ou 0,45 la livre.
En 1841, le poids moyen du bœuf n’était plus que de 327 kil.; il se vendait 382 fr. , ce qui donne un prix de 1 fr. 13 c. le kil. de viande sur pied, ou 0,60 la livre ; c’est-à-dire , qu’en 1834, la viande sur pied , valant 0,45 la livre , était à meilleur marché que dans la période commencée en 1819, dans laquelle la moyenne était de 0,48; de 1829 à 1839, la moyenne n'avait dépassé que de 0,02 la moyenne des 10 années qui commencent en 1819; mais en 1841, les prix étaient augmentés de 0,10.
Nous posons ces chiffres, quoique, nous le disons d’abord, ils soient loin d’être irrécusables : en effet, les prix des bœufs achetés sur les marchés de Sceaux ou de Poissy, peuvent être établis par les comptes de la caisse de Poissy; mais le poids des bœufs achetés n’est jamais vérifié , il résulte de la déclaration d’une commission de bouchers; de manière que s’il est déclaré plus faible qu'il n'est réellement, le rapport du poids au prix
(8) de vente est changé, et le prix de la livre de viande paraît plus haut qu’il n’est en réalité. Mais nous accepterons ces prix comme on nous les donne. Quant au prix de la vente en détail, M. le ministre du commerce (séance de la chambre des députés , 27 mai 1841) a déclaré qu'il était, en 1834 :
1.18 qualité, 1,08 le kil.
2e — 0,9
3. — 0,80 Ou en moyenne, 0,94 le kil. , soit 0,47 la livre. En 1841 : 1.re qualité, 1,26 le kil.
2.0 — 1,16
3 — 1,05
Ou en moyenne, 1,15 le kil., soit , 0,57 la livre.
Ainsi, il est constaté qu’en 1841, la viande a été beaucoup plus chère qu’en 1834.
La 1.'e qualité a augmenté de 14 4/5 p. 0/0. La 2.e 23 1/4 p. 0/0. La 3.e — 31 1/5 p. 0/0.
Voilà les faits : voyons quels en sont les résultats sur le bien- être des travailleurs.
INFLUENCE DE LA CHERTÉ DE LA VIANDE SUR LE SORT DES OUVRIERS.
La chair des animaux est, en certaines circonstances, unaliment indispensable à l'homme; il en a besoin, surtout lorsque l'habi- tation des quartiers malsains des villes et le séjour prolongé dans
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les manufactures lui enlèvent cette vigueur qu'il doit à l'influence de l’air et de la lumière ; il en a besoin quand on exige de ses membres affaiblis un travail incessant. Telle est précisément la condition des ouvriers des villes : leurs organes débilités réclament une substance alimentaire qui puisse être assimilée sans un puissant effort; le rude labeur qu'on leur impose demande une large réparation des forces; ils ont donc besoin d’une nourriture substantielle et abondante.
Il n’est pas douteux, conséquemment, que l'usage de la viande ne leur soit utile, indispensable même; il faut abso- lument qu'ils puissent s’en procurer. Cela étant, on peut dire d’une manière générale que la cherté de la viande leur est grandement préjudiciable; on consomne d'autant moins une marchandise que le prix en est plus élevé; le travailleur peut d'autant moins se procurer une denrée qu’elle est plus chère.
Dès lors, il semble que le prix de la viande, précieux comestible qu'’exige le bien-être de la classe ouvrière, à une influence considérable sur son sort.
Cependant, il faut noter que la valeur d'une chose n’est point un fait absolu, c’est une relation, c'est un rapport avec une autre chose; si le prix d’une marchandise est haussé, c’est qu’elle a plus de valeur relativement à l'argent; le rapport, quant à l’argent , est changé, mais voilà tout.
Si on dispose d'une quantité d'argent plus grande , on pourra obtenir les mêmes quantités de la marchandise enchérie. Le prix des denrées ne peut donc affecter le sort des ouvriers, qu’au- tant qu’ils disposent d’une quantité d'argent relativement moindre. La hausse de la viande les affecte malheureusement , si le prix de leur journée reste le même que celui qu’ils obte- tenaient avant cette hausse ; maisil est évident que si le prix de journée s’élève proportionnellement, ils conservent la même situation.
Or, il a été remarqué que les salaires haussent ou baissent,
{ 10 ) dans la généralité des cas, selon la valeur des denrées de première nécessité. Ce n’est que lorsque la cherté arrive à l'improviste, qu’elle n’est pas compensée par une augmentation de salaire , les circonstances commerciales ne permettant pas d'accorder subitement une plus large part à l’ouvrier.
Si l'on venait nous dire que Ja viande n’est pas un objet de première nécessité et que la consommation est en réalité diminuée , nous dirions qu’en fait , le salaire est augmenté dans une plus forte proportion que la viande de boucherie.
Et quant à la consommation effective, nous allons l’ap- précier.
Nous dirons d’abord que les évaluations qu’on a faites nous semblent manquer de bases solides : comment a-t-on établi la consommation des campagnes ? comment sait-on quel est le nombre des bestiaux abattus dans les fermes ? qui peut inscrire le nombre des porcs tués dans les ménages? Assurément on n’a à ce sujet que des données vagues et tout-à-fait insuffisantes. Les taureaux abattus ne sont pas même indiqués dans les relevés de la statistique, et cependant tous les taureaux, après quelques années de service, sont nécessairement livrés à la boucherie. Sont-ils comptés parmi les bœufs? on n’en sait rien. Toujours est-il que les taureaux fournissent assez généralement l’appro- visionnement des fermes du Nord.
On ne peut vraiment espérer quelque exactitude que dans les évaluations de la consommation des villes à octroi, et encore les quantités sur lesquelles le droit est perçu représentent-elles quelquefois fort mal la quantité de viande qui est consommée , soit parce que le poids des bêtes est mal apprécié, soit parce que les habitants mangent dans les faubourgs, comme à Paris ; soil, au contraire, parce que les étrangers viennent prendre une part dans la portion commune, ou que des quantités notables sont exportées, comme à Londres, qui fournit l’approvisionne- ment d’un grand nombre de navires.
(4:)
Ce n’est pas tout, il y a une cause d'erreur générale dans la statistique qui me paraît bien puissante. Pour établir le chiffre de la consommation moyenne on a probablement commencé par faire l’état de consommation des habitants de chaque com- mune , et avec la moyenne des communes on a fait celle des départements. Puis on a réuni les départements par région, on à fait une moyenne entre les vingt-un ou les vingt-deux dé- partements de chaque région, puis on a réuni les moyennes plus générales pour faire une moyenne totale. Eh bien! en procédant ainsi, on ne peut manquer d'arriver à un résultat entièrement fautif. Pour faire la moyenne de la région, on fait entrer le dépar- tement le moins peuplé comme une unité, ainsi que le départe- ment le plus populeux. Il y a là évaluation erronée. Les départements riches, fertiles, populeux, apportant plus d’unités de consommation que les départements pauvres, doivent avoir plus d'influence sur la moyenne; ils doivent la rendre plus élevée, si, comme cela est habituel, leur consommation est plus forte. Un département de 1,000,000 d'habitants , consommant 30 kil. de viande par tête, et un département de 250,000 habitants, consommant chacun 10 kil., ne donnent pas la même moyenne, si on compte rigoureusement la consommation de chaque indi- vidu, que si les deux départements sont présentés comme deux unités semblables, l’une consommant 30 kil. et la seconde 10 kil. Dans le premier cas, la moyenne est 26 kil.; dans le second, elle est de 20 kil.
Qu'on ne croie pas que les chiffres de consommation dans les divers départements se rapprochent tellement qu'ils ne peuvent avoir qu’une faible influence sur la moyenne générale, ce serait une erreur : Dans le Nord occidental de la France les moyennes se balancent entre 11 kil. et 35 kil. 91 et même 55 kil. 62 (département de la Seine); dans le Nord oriental, de 10 kil. 76 à 31 kil. 20; dans le Midi oriental. de 12 kil. 47 à 33 kil, 13. Ainsi l’on voit que la proportion que J'ai
(12) choisie comme exemple, n’est pas éloignée de la réalité. Il doit y avoir de graves erreurs dans la formation de la moyenne de chaque région , et ensuite la population de chaque région n'étant pas la même, il y a une nouvelle cause d'erreur dans la moyenne générale.
On voit donc que les chiffres qui servent de base à toutes les discussions sont bien peu précis, et ne peuvent, quant à présent, servir de base à un raisonnement rigoureux. Cependant nous accepterons les comparaisons qui ont été proposées et nous les jugerons.
On a comparé le chiffre de la consommation de viande faite en France, aujourd'hui, avec celui de la consommation qui a précédé 1789 ; on a comparé surtout la consommation actuelle de Paris avec celle que faisait la capitale avant la révolution ; on à comparé ensuite la consommation française avec celle des royaumes voisins, et la consommation de Paris avec celle de Londres.
Il me semble qu’à ce sujet bien des assertions erronées ont été faites; nous allons poser les chiffres les plus certains que nous ayons pu nous procurer.
Voyons d’abord la consommation générale de la France.
D'après la statistique publiée par le ministère de l’agriculture et du commerce en 1837 et dans les années suivantes , la con- sommation est :
Dans le Nord oriental, comprenant 21 départements, de 21 kil, 63 par habit, Dans le Midi oriental, comprenant 25 départements, de 19 kil. 27 Danse Nordoccidental, comprenant 21 départements, de »s kil. 4r
Ce qni donne unemoyenne générale pour 64 départements, de 21 kil. ro par habit.t
La statistique du Midi occidental, contenant 22 départe- mens, n’est point encore publiée. M. le ministre du commerce a déclaré à la chambre des députés et à la chambre des pairs,
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que le Midi occidental était la partie du royaume qui con- sommait le moins, et que, conséquemment, lorsqu'on ferait la moyenne générale, elle seraït moins forte que celle que nous venons d'indiquer pour les trois parties dont la consom- mation a été publiée. M. le ministse a annoncé qu’alors le chiffre moyen de la consommation totale serait réduit à 14 k. par individu. Ce ne peut être là qu'une erreur d'improvisation de M.le ministre ; il n’est pas possible que la diminution du chiffre total soit telle qu’on vient de l'annoncer : et, en effet, en supposant que le Midi occidental ne consomme absolument aucune quantité de viande, et que par conséquent les chiffres de la consommation des trois régions de la France doivent être répartis entre les quatre régions, il resterait encore 15 kil. 82 par chaque habitant, c'est-à-dire, plus que ne concède le ministre. Or, il est absurde de supposer que le Midi occidental ne con- somme pas de viande. Il peut consommer un peu moins que les autres, mais sa diminution, répartie sur les trois régions connues, ne fera qu’une différence insignifiante ; on peut donc regarder comme acquise la moyenne de 21 kil. 10 par habitant. Une légère différence ne peut rien faire pour une donnée qui est si peu précise en elle-même, comme nous l'avons montré en signalant quelques-unes des nombreuses erreurs qui doivent enlever la confiance qu’on accorde trop facilement à ces moyennes qu'on prend pour base des raisonnements.
La consommation moyenne de la France est donc de 21 kil. 10 par habitant : qu’était-elle avant la révolution ?
En 1789 Lavoisier estimait la consommation à 42 livres 2 onces par individu, c’est-à-dire 21 kil. 12. C’est le même chiffre qu'aujourd'hui, bien que la France de nos jours ait pris déci- dément un caractère industriel, circonstance qui crée malheu- reusement, comme nous le dirons, une classe d'ouvriers sou- vent frappés d’un grand dénuement.
Toujours est-il qu'il n’y a rien à conclure des moyennes, qui Le
(14) n'offrent rien de précis et qui ne présentent d'ailleurs pas de dissemblances.
On a pensé obtenir des résultats plus positifs en n’examinant que la consommation de Paris et en mettant en parallèle celle de cette ville en 1789 et celle qu’elle effectue de nos jours. Livrons-nous à ces nouvelles recherches,
Avant 1789 la consommation de viande était en moyenne de 68 kil. par tête; aujourd’hui elle est de 47 kil. 87 déc. Certes : voilà une différence énorme ! Mais cela prouve-t-il que certaines classes de la population , les classes ouvrières, par exemple, ont moins de facilités à se donner un aliment essentiel ? En aucune manière |
L'honorable M. Tourret a montré jusqu'à l'évidence que cette donnée statistique ne signale absolument rien, si les élé- ments de la population sont changés. Si le chiffre des travailleurs devient proportionnellement plus grand, le chiffre de la consom- mation moyenne peut devenir plus bas, sans les affecter. Lorsque le nombre des petits consommateurs devient plus considérable, la moyenne de toutes les consommations devient nécessairement plus faible, quoiqu’en réalité la consommation de chaque travail- leur n’aitrien perdu. Ainsi, admettons une population de 600,000 ames, admettons que cette population se compose de 497 142 per- sonnes riches, consommant 80 kil., par exemple, et 102,850 tra- vailleurs ne consommant que 10 kil. La moyenne de la consom- mation par tête sera de 68 kil., chiffre qui est celui constaté avant la révolution. Admettons maintenant que le chiffre et les éléments de la population changent : qu’elle s'élève à un million d'individus, par exemple; que parmi eux 342,857 soient aisés et conservent leur consommation de 80 kil. , et que parmi eux 457,143 travailleurs conservent leur consommation de 10 kil., la moyenne sera de 48 kil., sans qu'aucune classe ait perdu quelque chose de son bien-être.
Faites plus : supposons, ce qui est très-admissible, que la
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classe riche ait diminué sa consommation en viande de bou- cherie, parce qu'elle est moins nombreuse, qu’elle réunit moins de grandes fortunes, qu’elle entretient un nombre moindre de valets, grands consommateurs, qu’elle à remplacé la viande de boucherie par des aliments plus recherchés, ia volaille, le gibier, le poisson, les mets sucrés, etc.; vous trouverez alors que le chiffre de la consommation moyenne a pu descendre en même temps que la quotité de chaque travailleur est devenue plus grande.
En effet, supposez que dans la population de 1,000,000 , la classe des artisans compte 500,000 habitants; supposez que la moyenne des gens riches vivant de volailles, de poissons , de gibier et de toutes sortes de mets délicats, ne soït plus en viande de boucherie que de 60 kil. au lieu de 80; si la moyenne totale est encore de 48, les artisans auront une quotité de 36 k., c’est-à-dire, plus de 3 fois 1/2 plus forte que dans la supposition que nous avons faite, dans laquelle, avec une moyenne géné- rale de 68 kil., chaque travailleur n'avait pour sa part que 10 k. Or, il est patent que ce n’est pas une pure hypothèse que l’ad- mission de toutes ces causes qui agissent de manière à ôter toute signification aux moyennes dont on tire argument.
Ilest avéré que la population ouvrière de Paris, devenu le grand centre industriel de la France, est accrue hors de toute proportion avec les autres classes.
IL est avéré que les grandes fortunes sont moins nom- breuses.
Il est avéré que la consommation des grandes maisons est considérablement diminuée.
Il est avéré que les personnes aisées ont substitué d’autres aliments à la viande de boucherie : en 1789 on vendait à Paris pour 2,787,033 francs de volailles, aujourd'hui on en vend 6,209,000 kil., valant au minimum 8,383,150 fr.
La marée autrefois était chose rare et chère, aujourd’hui elle
( 16 ) est une ressource abondante et habituelle; les services des transports sont tellement établis que tous les ports de la Manche approvisionnent aussi régulièrement la capitale que les villes du littoral. En 1839 , la marée a payé en droits de remise sur les ventes, dans les marchés de Paris , 306,201 fr.
Les aliments sucrés ont pris une place considérable sur la table du riche. On sait dans quelle proportion la consommation du sucre est augmentée en France. Pour ne donner qu'un chiffre, nous dirons qu'elle était de 17 millions en 1814; elle est aujourd’hui de plus de 120 millions. Or, les tables somptueuses de Paris prennent une large part dans cette consommation , qui, certes, est de nature à diminuer l'usage des viandes grossières chez les gens aisés.
D'un autre côté les travailleurs feront croire à une consom- mation moindre, si, plus libres et plus riches, ils ont le loisir d'aller plus fréquemment prendre leurs repas en-dehors de la limite de l'octroi, et s'ils font un plus grand usage de la char- cuterie. La quantité de viande consommée par les ouvriers en- dehors des barrières est d’autant plus grande que le tarif de l'octroi est plus élevé; vous n’en tenez pas compte; pourtant on doit la supposer fort accrue, puisque les tarifs se sont élevés. Aussi la consommation de Paris et de la banlieue est de 53 kil. 75 par habitant ; celui du département de la Seine de 55 kil. 62. Quant à la quantité de viande de porc consommée, elle s’est accrue aussi dans une proportion considérable. Le nombre des pores tués à Paris, avant 1789 , était de 40,441, aujourd’hui il est de 90,190; la charcuterie préparée était , avant 1789 , de 260,500 kil., aujourd’hui elle est de 992,837 kil. Ainsi les con- sommalions accessoires qui remplacent la viande que les ou- vriers demandent à la boucherie de Paris, oni été croissant, et ces augmentations n’affectent pas leur moyenne apparente.
Quelles inductions peut-on donc tirer d’une comparaison faite entre deux termes qui n’ont rien de semblable ? Tout est
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changé ! Paris, de nos jours , ne ressemble en rien à Paris des anciens temps, et l’on ne peut rien conclure des disparates qu'il présente à ces deux époques. Il est possible , il est certain si l’on veut , que la capitale renferme de nombreuses et profondes mi- sères : Paris industriel a subi les lois, souvent bien tristes , de l’in- dustrie. Les travaux manufacturiers ont pour résultat fréquent de créer une population qui est réduite aux plus extrêmes nécessités, et qui ne peut faire entrer la chair des animaux dans son régime alimentaire , non parce que les prix en sont plus élevés qu’au- trefois , mais parce qu'ils sont plus frappés d’indigence que les artisans qui se livraient à un travail isolé dans leur atelier privé. Ces populations des grandes fabriques, devenant très-nom- breuses, doivent exercer une influence considérable sur les moyennes. Aussi les départements qui abondent en ma- nufactures ont une faible quotité de consommation par habitant. Voyez le département de l'Aisne , sa consommation en viande est de 15 kil. 14 par habitant; voyez le Nord, si industrieux, et en même temps si fertile, si riche, si bien placé, si pourvu de routes, de canaux, de rivières, sa consommation est de 47 kil. 69 ; tandis que dans le Jura elle est de 18 kil. 62, dans les Ardennes, 23 kil. 31; dans la Moselle, 27 kil. 46; dans dans la Meuse , 29 kil. 12 ; dans la Marne , 31 kil. 20.
Quelle est la cause d’une telle situation ? elle est dans la situation morale de l’ouvrier : ignorant, livré aux désordres de toute nature , imprévoyant , affaibli, se chargeant d’une famille quand ses ressources ne lui permettent pas de la nourrir, il n’a qu’une industrie qui est à la portée de tout le monde; il pro- duit peu; il n’a point d'épargne ; il est à la merci de tous les événements; il crée autour de lui une concurrence effrénée de travailleurs; il met, par nécessité, son travail au rabais; il n'obtient plus pour salaire que ce qui est rigoureusement né- cessaire à la vie ; ses aliments sont grossiers et insuffisants, et, chose déplorable à dire, tous les travailleurs ne peuvent encore
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arriver à la vie ; le dénuement , la misère, retranchent ce que le capital social et l'exploitation industrielle ne peuvent nourrir. Tels sont les déplorables faits qu’on peut constater aux plus bas degrés de nos sociétés mercantiles. Les dernières classes des ouvriers sont réduites à la plus dure extrémité : elles vivent, au milieu de cette concurrence sans limite, mais du plus strict nécessaire ; elles vivent, mais sont ramenées sans cesse par le besoin au chiffre possible. Pour ces classes, le prix ha- bituel des denrées absolument indispensables ne fait rien : si les prix baissent, ces travailleurs du dernier étage, ou se mul- tiplient de nouveau, ou ils dissipent avec un peu moins de dis- cernement le salaire qu’ils ont obtenu.
Il est affreux de voir la condition et la vie de l’homme ainsi réglées, mais cela est. Ce n’est pas le lieu ici de chercher ce que la philantropie, la charité, la politique ont à faire pour améliorer une telle situation. Ces faits doivent occuper sans cesse l'esprit de tous les hommes d'état : ici, nous devons nous borner à constater les faits tels qu'ils se présentent, et à établir que les travaux manufacturiers créent une classe de travailleurs qui sont en grand nombre, qui ont une faible part dans les consom- mations non indispensables, et qui font ainsi baisser considé- rablement les moyennes, sans que la quotité des travailleurs préexistants soit diminuée.
On ne saurait donc conclure des faits précédemment exposés, que le prix de la viande, eu égard au prix des salaires, est devenu tel, que les classes de la population parisienne qui, autrefois, pouvaient être suffisamment pourvues de cette nourriture substantielle, ont été forcées de restreindre l’usage qu’elles en faisaient.
Malgré tout, on persiste à penser que l'alimentation animale de la population parisienne est diminuée au moins en qualité, et pour prouver la réalité de cette opinion on invoque ce fait,
(«49 ;)
que la quantité de vaches tuées est plus considérable aujour- d’hui qu'avant la révolution :
Avant 89 le nombre en était de... 13,000 Aujourd’hui il est de.......:.... 21,000
On voit là un grand mal. Quant à nous, sile fait qu’on signale n’était produit par une vicieuse disposition de la loi des douanes, que nous indiquerons, nous le considérerions comme un per- fectionnement dans le mode de l'administration des laiteries ; quand une vache a atteint un certain nombre d'années, que la quantité de lait qu’elle fournit commence à diminuer, au lieu de l’épuiser et de la faire périr de phthysie pulmonaire comme on le faisait jadis, on l’engraisse et on la livre à la boucherie. Cette méthode est meilleure et elle est utile à la classe ouvrière, car elle obtient ainsi une nourriture assurément très-bonne à un prix plus modéré que ne le serait celui de la viande de premier choix. Il nous semble que plus la quantité relative de la viande, à laquelle l’ouvrier peut atteindre, augmente, plus il vient prendre une grande part dans la viande des boucheries, et dans le fait il faut bien que les vaches, dans une bonne éco- nomie , soient livrées à la consommation. Il nous en faut beau- coup, parce qu’elles sont éminemment utiles à la petite culture; il faut conséquemment qu’elles entrent pour une notable quotité dans la nourriture des populations : Paris ne éonsomme encore que 25 vaches sur 100 bœufs. La campagne en mange plus de 60 sur 100 bœufs.
Malgré l'évidence des démonstrations, on s’obstine encore à soutenir que la quantité de viande consommée par la popu- lation parisienne s’est amoindrie. Il est un fait qui sert de base à ces convictions déterminées: à peu près le même nombre de bœufs ont été abattus en 1789 et 1840; ce sont environ 72,000 pour chacune de ces deux années , distantes d’un demi-siècle; même nombre pour 600,000 habitants que
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pour plus de 900,000 ; la population, qui est augmentée de moitié , est donc plus mal sustentée. Tout cela tombe quand on observe avec quelque attention le fait cité; il n’a qu’une apparence de force. Certes, il serait tout puissant, si le nombre de bœufs représentait justement la quantité de viande mangée par la population ouvrière; mais il n’en est rien, cela est parfaitement clair : nous n’avons pas besoin de rappeler que le nombre de vaches abattues est porté de 13,000 à 21,000; celui des porcs de 40,000 à 90,000 ; la quantité de viande à la main, qui était de 758,000 kil., est de 2,943,000 kil.; la charcu- terie, qui était de 260,000 kil., est de 992,000 kil. ; la volaille était évaluée à 2,787,000 , on ne peut l’évaluer à moins de 1 fr. le kil., c’est donc 2,787,000 kil. Aujourd’hui la volaille intro- duite pèse 6,209,000 kil.; or, toutes ces espèces de viandes, la volaille exceptée, sont précisément celles qui permettent le plus au peuple de se donner une nourriture animale.
Admettez que les mêmes quantités de viande soient appli- quées à une population semblable , et que les excédants servent à nourrir l’excédant de la population; on a, à Paris, en viande nette :
8,000 vaches pesant 225 kil., soit 1,800,000 kil. 50,000 porcs pesant.. 75 3,750,000 Excédant de la charcuterie... ... 730,000 Excédant dela viande à la main. 2,732,000 Excédant des volailles... ...... 3,421,967
Cela donne un excédant de.... 12,433,967 kil. de viande.
Qui, livrés à 450,000 travailleurs, donnent pour chacun près de 28 kil. , et si l’on ajoute l’excédant des moutons et des veaux consommés, si l’on ajoute l’excédant de poisson, on trouvera pour chacun une quotité de substance animale bien supérieure à celle de tous les ouvriers des villes de fabriques ;
(21) tous les autres habitants ayant du reste conservé leur con- sommation antérieure.
Après avoir comparé la consommation ancienne de Paris avec celle de nos jours, on a voulu comparer Paris moderne avec lui-même. On a mis en parallèle les chiffres de. la con- sommation de 1840 et ceux de 1841.
Pendant le 1.er semestre de 1840, ila été consommé (1841,
Moniteur, N.° 193 ): 36,701 bœufs.
9,545 vaches. 36,463 veaux. 207,733 moutons.
35,429 bœufs. 10,765 vaches. 32,452 veaux. 212,155 moutons.
Il en résulte de là que la consommation de 1841 est diminuée
de 1,272 bœufs et de 3,911 veaux; mais elle est augmentée de 1,220 vaches. 4,432 moutons. Le bœuf pesant en moyenne 315 kil. et le veau 57 kil, on trouvera que la consommation de la viande de bœuf et de veau est diminuée de............ 623,541 kil. Mais, les vaches pesant 225 kil. et les moutons 22 kil., on trouvera que la consommation de la viande de vache et de mouton est augmentée de........ 371,904 kil.
En 1841 :
Conséquemment, la diminution de la consomma- tion de viande de boucherie a été de..........… 251,637 kil.
(22)
sur une population de un million d’ames, c’est 1/4 de kil. par individu ; encore faudrait-il savoir si le nombre des porcs n’a pas crû comme celui des vaches et des moutons, et si la char- cuterie n’est pas entrée pour une quantité plus grande dans l'alimentation des ouvriers. Il faudrait savoir encore si la volaille, le gibier, le poisson ne sont pas entrés pour une plus grande part dans la nourriture du riche , et si, par conséquent, la part de viande, laissée au pauvre, n’a pas été plus consi- dérable.
Mais, supposant que la quantité de viande consommée ait été réellement moindre, cette diminution de 1/4 de kil., est le résultat d’une cherté accidentelle, d’une crise commerciale ou politique, etc., etc. On ne peut, en se fondant sur une éven- tualité aussi passagère, conclure que les rapports entre la pro- duction et la consommation sont changés, que les prix exigés par les vendeurs ne correspondent plus aux facultés des ache- teurs, et qu’il faut changer le système économique du pays. C’est ce que nous verrons bien quand nous apprécierons les causes de la cherté.
Pour épuiser l'examen des faits qui établissent la situation de l’ouvrier français sous le rapport alimentaire, nous n’avons plus qu’à suivre la comparaison qu’on à établie entre la con- sommation de nos travailleurs et celle de nos voisins, ou quel- ques classes de la population.
On nous dit : la nourriture de la population pauvre de Paris n'est pas détériorée. Soit, mais elle n’est pas suffisamment bonne; elle est inférieure à celle des Anglais, des Belges, des Allemands; elle est pire que celle des prisonniers et des soldats.
Nous croyons que si la France consommait proportionnellement moins que certaines nations , il ne faudrait pas, pour cela seul, la déclarer dans une condition alimentaire pire; car sous ce rapport, pour obéir aux conditions des diverses situations , il ne doit pas y avoir similitude entre Lous les peuples.
(23)
La France est un pays dont la moitié appartient à la zône méridionale de l'Europe, et s’il est une vérité vulgaire, c’est que les climats du midi ne doivent pas faire une consommation de substances animales aussi abondante que les pays froids. On ne peut prétendre qu'à Marseille la santé de l’homme exigera la même quantité de viande qu’à Londres, Édimbourg ou Berlin?Cela est contraire à toutes les notions physiologiques et historiques. La sobriété des peuples du midi a été un fait toujours remarqué et toujours utile. Ainsi, l’usage de la chair des animaux serait moins grande en France que dans l’Europe septentrionale , qu'il n’y aurait lieu que de s’en louer, parce qu’elle serait une obéissance aux exigences des lois physiques qui pèsent sur la constitution de l’homme.
Une autre raison permet aux habitants de la France de faire entrer les substances animales dans leur régime alimentaire, en moindre proportion; ils font usage du vin, boisson tonique, qui donne aux organes digestifs la puissance d’assimiler, d’une manière plus constante, les aliments tirés du règne végétal. Il est donc admissible , il est avantageux que le peuple français soit plus frugal que les nations du nord; comme il est avan- tageux à l'Espagnol et à l’Arabe d’être plus sobre que le Français.
Cependant , telle est l’aisance de la France , que , malgré les facilités que donne le climat, les habitants de notre pays ne consomment pas moins de viande que ceux des pays dont la rigueur de la température exigerait une consommation plus forte.
L’Angleterre nous a été donnée comme un pays dont la popu- lation consomme une énorme quantité de viande ; M. Tourret a fait remarquer, d’après M.Culloch, que la consommation moyenne de la Cité de Londres était, chose curieuse, moindre que celle de Paris. À Londres , elle est de 48 kil. 15 par tête ; à Paris, elle est de 47 kil. 87, mais elle est augmentée de
(24)
7 kil. 86 de porc et charcuterie, ce qui fait 55 kil. 73 , tandis qu’à Londres, selon M.'Culloch, on doit considérer que la viande de porc consommée fait compensation à la quantité de viande emportée par les vaisseaux. On objectera que ces chiffres résultent de la consommation de Ja Cité, et non de la ville de Londres toute entière; mais qui nous dira si les hommes aisés de Ja Cité ne sont pas plus consommateurs que les person- nages riches et oisifs, et qui nous dira quelle quantité devrait être assignée pour satisfaire aux plus grandes exigences du climat ? Nous ne pensons donc pas qu’on puisse arguer de la consommation de la capitale de l'Angleterre.
En Allemagne, à laquelle on veut demander nos approvision- nements et qu’on nous dit bien plus favorisée que la France sous le rapport de la production et de la consommation du bétail ; en Allemagne, trouverons-nous un état plus avantageux pour le peuple ! un simple exposé de chiffres satisfera à cette question.
En France , la consommation moyenne par tête est, d’après la statistique publiée par l'administration, de 21 kil. 10. On en accorde 50 kil. aux habitants des villes : admettons, ce qui est considérable , que les habitants de tous les chefs-lieux d’arron- dissement portent leur consommation à ce chiffre : la popu- lation des chefs-lieux d'arrondissement est de 4,951,684, celle des campagnards, de 28,689,226, dès-lors, la consommation moyenne de ces derniers sera de 16 kil. 04.
Eh bien, en Prusse, d’après la statistique de M. de Langerke, la consommation , dans les villes, est de 33 kil. 50 par tête, et dans les campagnes, de 13 kil. 50, chiffres inférieurs à ceux des villes et des campagnes de la France. En Saxe, la consom- mation, pour les villes et les campagnes, est de 17 kil. 1/2; c’est à-peu-près la consommation des campagnes de France.
Voilà les chiffres, chiffres auxquels, nous le déclarons, nous n’attachons pas une trop grande valeur, car , en vérité, nous
(25 ) ne savons comment on a pu vérifier la consommation du bétail élevé et consommé dans l’intérieur des habitations rurales. Mais toujours est-il que la France consomme plus que les régions dont on envie le sort, et dans lesquelles la consommation devrait être plus considérable que celle de notre pays, si l’on consultait les exigences du climat. Maintenant, comparerons-nous la consommation des popu- lations laborieuses à celle des soldats, des marins, et même des prisonniers ?
La ration du soldat est de 91 kil. par an. Celle des marins est de 52 Celle des prisonniers est de 70
La populationlaborieuse est donc plus mal nourrie que l’homme qui est au service militaire, plus mal nourrie que l’homme qui habite les prisons ? De telles assertions ne peuvent soutenir l'examen : On oublie, en comparant des choses si peu compa- rables, qu’en énonçant le chiffre de la ration du soldat ou du condamné, on exprime toutes les quantités qui peuvent lui revenir , sans aucune augmentation possible, tandis que lors- qu’on énonce la quotité de toute une population, on exprime une moyenne qui appartient aux hommes, aux enfants, aux vieillards, aux femmes, aux malades, à tous les individus quel- conques enfin ; de sorte que dans la réalité, la part de l'adulte, travailleur , est augmentée de tout ce que les parties débiles et inactives de la société ne peuvent évidemment consommer. On oublie aussi que la ration du soldat et du prisonnier n’est pas rendue plus confortable par ces additions si variées, si fréquentes, qu'obtient toujours l’homme qui reste dans Ja vie civile. C’est assurément faire un étrange abus de la statistique , que de mettre en rapport des choses qui n’ont pas la moindre analogie.
En définitive , il n’est pas démontré que la population de
(26 )
notre pays se procure une nourriture substantielle en moins grande abondance que les populations des contrées voisines. Il n’est pas démontré surtout que nos classes laborieuses con somment aujourd'hui moins de viande que dans les temps qui ont précédé la révolution française; le contraire paraîtra évi- dent à tout le monde. C’est particulièrement en étudiant les campagnes qu’on verra quel progrès s’est réalisé à cet égard ; combien de villages, qui n'avaient point de boucheries, en sont maintenant pourvus; combien d'ouvriers , qui mangeaient à peine quelques rations de viande aux principales fêtes de l’année, en font maintenant un fréquent usage. Non, on ne persuadera à personne que, sous le rapport hygiénique, la nation française se trouve en plus mauvaise situation que dans le siècle dernier.
Tout ce qu’on a dit sur la détérioration du régime alimentaire de la classe ouvrière me semble ne reposer sur aucune base certaine, et les esprits positifs n’en doivent tenir aucun compte. Si vous voulez constater la situation physique des peuples par une moyenne , il en est une plus puissante, plus positive, plus régulièrement constatée, qui domine celles que vous avez énon- cées : elle se trouve dans le chiffre de la population et celui de la mortalité en France; si le premier de ces chiffres est aug- menté , si le deuxième est diminué, il sera constaté que le sort du peuple est en vérité amélioré notablement. Eh bien , il résulte des actes officiels, qu’en 1801, la population de la France était de 27,349,003 individus ; il mourait par an 720,587, c’est-à-dire un individu sur 35, 42 centièmes. En 1836, la population était de 33,540,910 individus, et il mourait par an 816,413, c’est-à-dire un individu sur 41, 8 centièmes. Ainsi la population s’est accrue de près de 1/5, et la mortalité est diminuée de près de 1/6.
Pour Paris même, qu’on a cru placé dans de si fàcheuses conditions, on voit une amélioration graduelle : En 1784 , la
(27 ) population était de 500,000 individus, à-peu-près; il mourait, par an, 21,778, c’est-à-dire un individu sur 23 , 87 cent. (4) En 1836, la population de Paris était de 909,126 individus, il en mourait, par an , 23,768, c’est-à-dire À sur 38, 2 cen- tièmes : La population était donc presque doublée, et la mor- talité était diminuée de plus de moitié.
Assurément , l'amélioration des vêtements , des habitations, la salubrité générale, ont eu une influence notable sur l’accroisse- ment de la longévité; mais aussi personnne n’aura la pensée de soutenir que le régime alimentaire perfectionné n’a pas con- tribué puissamment à entretenir la santé des hommes et à pro- longer leur vie.
Dans le pays en général, la moyenne de la consommation de la viande de boucherie n’est pas diminuée, et , à cette consom- mation, s’est ajouté l'usage des substances alimentaires aussi bienfaisantes, et si, dans la capitale , la moyenne de la consom- mation est diminuée, nous l’avons dit , cela tient à de nom- breuses raisons : La capitale, devenue industrielle, n’est plus dans la même condition; les classes riches prennent une moindre part dans la consommation de la viande de boucherie, les grandes maisons sont plus rares, les aliments délicats plus usuels, les volailles, les gibiers, les poissons, la viande de porc, plus employées, etc. ; les habitudes de prendre des repas, hors des barrières , plus étendues, etc., etc.
- Les prix sont plus élevés, mais la valeur de l’argent est rela- tivement moindre; les salaires se sont accrus; et enfin, si le prix actuel de la viande est effectivement haussé, ce prix n’est pas celui de l'état normal; il ne dépend pas de causes permanentes , et, conséquemment, il doit être modifié aussitôt
(1) La population de Paris était, en 1789, de 524,186 , si donc, on prenait la population de 1789 au lieu du chiffre de 500,000, il faudrait diminuer la mor- talité de 1/20 ; elle serait de 1 sur 24, 87.
(28 ) que les circonstances exceptionnelles qui l’ont amené auront cessé.
L'honorable M. Tourret a parfaitement établi, dans l’excel- lent discours qu’il prononça à la tribune de la chambre des députés, le 27 mai 1841, qu'une cause purement accidentelle avait amené l'excessive élévation du prix dont on se plaint aujourd'hui. Il a prouvé , qu’en 1840 , les fourrages étant rares et chers, il fallut se hâter d’abattre un grand nombre de bes- tiaux qu’on ne pouvait plus nourrir. Cela amena une baisse considérable , à ce point qu’en septembre et octobre de l’année dernière, la viande ne valait, sur les marchés de Paris, que 30, 35, 40 et 45 cent. le 1/2 kil. Mais une telle destruction des bestiaux devait inévitablement amener plus tard un enché- rissement considérable : On avait consommé prématurément l’approvisionnement , on avait mis en cousommation des bêtes qui n'avaient pas leur poids, on avait diminué les facilités de reproduction; tous ces faits devaient amener , comme une con- séquence forcée, une grande rareté des bêtes destinées à l’abat- toir, et devaient par conséquent produire une très-grande cherté de la viande. A ces causes, il faut ajouter une épizootie qui, pendant plusieurs années, a sévi sur une grande partie de la France. Il y a là des raisons surabondantes pour expliquer la cherté et la rareté des bestiaux.
Cependant, nous le déclarons , malgré que les quantités de viandes consommées ne soient pas devenues moins considé- rables, malgré que l'augmentation de prix ne soit pas en dis- proportion avec l’augmentation des salaires , nous aimerions à voir baisser le prix d’une nourriture indispensable aux tra- vailleurs. Mais, puisqu'il est vrai que leur sort est loin d’être plus fâcheux qu'aux époques antérieures qu’on à signalées, il ne faut pas que la baisse qu’on réclame soit funeste à la pro- duction nationale et à d’autres travailleurs. Nous devons nous attacher à faire disparaître toutes les causes qui entretiennent
(29 ) la hausse, surtout celles qui la constituent comme un état normal, mais nous devons appréhender de détruire l’équi- libre des forces productives de la France. Nous allons donc examiner les moyens proposés pour faire baisser les prix de la viande, et nous appliquer à signaler ceux qui sont acceptables dans l’état actuel des choses.
MOYENS DE FAIRE BAISSER LES PRIX.
Pour faire cesser la cherté , il faut connaître les causes qui la produisent.
Ces causes sont multiples.
Celles qui agissent le plus directement sur le prix de la viande, sont :
Les taxes de douanes et d'octroi ;
Le mode de perception des taxes ;
Les bénéfices faits par les détailleurs ;
Les conditions de la production en France.
Ces causes ont été signalées d’une manière plus ou moins générale. Dans des intérêts divers, elles ont été diversement appréciées ; par des motifs différents , on a demandé que toutes fussent successivement attaquées : nous allons examiner l’action directe de chacune d’elles , nous allons rechercher jusqu’à quel point on peut les modifier ; nous allons voir s’il est possible
De diminuer le droit de douanes ;
De diminuer le droit d'octroi;
De changer le mode de perception du droit de douanes;
De changer le mode de perception du droit d'octroi ;
De modifier l’organisation de la boucherie;
De modifier la condition de la production agricole.
( 30 ) DIMINUTION DU DROIT DES DOUANES.
Jusqu’en 1822, la taxe perçue à l'entrée des bestiaux étran- gers était presque nulle :
Un bœuf payait 3 francs de droit, plus, le dixième.
En 1822 (17 janvier ), la baisse considérable des prix et l’aug- mentation croissante des bestiaux étrangers, firent proposer d'élever d’abord les droits sur les bœufs à 30 fr. par tête.
Cette proposition ne put être discutée.
Dans la même année (30 juin), une nouvelle proposition fut
faite par le gouvernement, qui taxait ainsi les bestiaux à leur entrée :
| ii D" 7" SERRES TE en 90 fr., plus, le dixième. Bœufs maigres, taureaux, bouvillons, taurillons ris rt eg Rae 15 N'aches prasses./.: nu line 25 Vaches maigres et génisses.. ..... 6 Ven. cet tentes .0 RLERN 3 Béhiers, ete... (Amiante 3 ABNEAUX. : 4. DANS AE SATA 0,30 Barcacgraët. nantes 260 D. 450n0 12 PRorca:smaigtes.i2.,:109.419 00 408 2
Ce projet , adopté par les chambres, eut force de loi, le 27 juillet 1822. Plusieurs amendements, tendant à diminuer ou augmenter ces chiffres , avaient été repoussés.
Cet état de chose dura quelques années; mais bientôt, on assujettit les bœufs maigres aux mêmes droits que les gras, les vaches maigres aux mêmes droits que les grasses. Ce chan- gement fut prescrit par le dernier paragraphe de l’art. 1.er de la loi du 17 mai 1896.
Cette législation est celle qui est en vigueur.
(31)
Nous avons à déterminer quelle influence les droits, qu’elle fait peser sur l'introduction des bestiaux , ont sur le prix de Ja viande et sur la consommation ;
Quelle influence une réduction exercerait sur ces prix ;
Quel est le chiffre de la protection nécessaire à la production nationale ;
Quels motifs rendent cette protection indispensable.
Nous saurons alors si l’on doit toucher au tarif établi par la loi des douanes.
Il est clair que le droit perçu à l'entrée des bestiaux venant des pays étrangers élève le prix de la viande, et qu’on obtien- drait un abaissement dans ce prix, par la suppression ou la ré- duction du droit. Indiquer cette cause de cherté est la chose la plus simple; en réclamer l'abolition est la chose la plus facile ; aussi c’est contre le droit d’entrée que se sont élevées les récla- mations les plus nombreuses et les plus instantes, et de cette façon, le tarif des douanes est devenu le point le plus impor- tant de la question.
Le droit est élevé sans doute; mais il ne faut pas croire qu’il a toute l'importance qu’on lui donne. La taxe de 55 fr. établie sur les bœufs importés, qui, en moyenne , pèsent 450 kil. (1), augmente de 0,12 c. le kil. de viande. Cette augmentation a dû être opérée en partie et non en totalité : en effet, dans ces circonstances, le producteur étranger et le con- sommateur français partagent, pour ainsi dire, le droit, parceque l’un est obligé d’offrir sa marchandise, et que l’autre est décidé à restreindre sa demande , si on lui fait supporter tout le droit , et encore, parce que la production intérieure, plus favorisée , fait une concurrence plus grande à ses rivaux.
(1) Pour évaluer l'influence du droit sur le prix, il faut compter à peu près le poids brut des animaux , puisque le suif , les cuirs et les issues doivent subir l'influence du droit,
(32)
De plus, cette augmentation partielle de prix n'a pas pu se faire sentir sur toute la surface du pays, parce que tous nos départements ne tirent pas et ne peuvent pas tirer de l'étranger les bestiaux qu'ils consomment. Il est curieux de remarquer que dans la période de 1819 à 1829, qui comprend des années pendant lesquelles le droit a été faible, le prix est de 0,48 le demi- kil., d’après M. Daru , tandis qu'après le droit, en 1834, le prix, d’après M. le ministre du commerce , a été de 0,45 le demi- kil. C'est-à-dire moins élevé qu'avant le droit.
Enfin, cette augmentation a dû se faire sentir une fois pour toutes , et à l’époque seulement où l'établissement du droit a eu lieu , et non plus tard : il ne peut évidemment amener de non- velles hausses une fois que son premier effet a été produit. Ce serait sans aucune raison qu’on lui attribuerait la cherté qui se fait sentir aujourd’hui.
Par exemple, quand M. le ministre du commerce, pour appuyer les réclamations de ceux qui se plaignent du droit, déclare, qu’en 1834, le prix du kil. de viande de première qualité était de 1 fr.08 c. le kil., tandis qu’il est maintenant de 1 fr. 26 c. ; nous disons qu’il n’est pas possible que le droit de douanes soit pour quelque chose dans cet enchérissement , parce qu’en 1834 le droit était ce qu’il est aujourd’hui. S'il survient des causes de cherté en France ou à l'étranger, sans doute le consommateur doit en supporter les conséquences, comme il les aurait subies si le droit n’avait pas existé.
S'il n’est pas possible d’attribuer au droit de douanes les augmentations successives qu'a éprouvées le prix de la viande, il n’est pas possible d'admettre davantage que ce droit nous menace d’une hausse continue. Nous le répétons, l'effet de la taxe a été produit le jour où la loi de douanes a été promulguée ; cette taxe n’a pu causer toute la cherté dont on se plaint ; elle n’est qu'un faible élément du prix, et le prix même ne peut s'élever de toute la quantité de la taxe, parce que l'importation
(33 ) des bestiaux est trop faible, relativement à notre consommation, pour avoir une influence toute puissante sur la valeur de la viande.
Il résulte, en effet, des tableaux de douanes, que nous plaçons à la suite de ce travail, que de 1815 à 1821, c'est-à- dire pendant toute la période durant laquelle le bœuf n’a été frappé que de 3 fr. à l'entrée , nous avons importé 124,582 bœufs, ou en moyenne, 17,940 ; mais nous avons exporté 42,678 bœufs dans le même espace, ou en moyenne, 7,097, c’est-à-dire qu’annuellement notre consommation a excédé notre produc- tion de 10,843 bœufs en moyenne. Or, d’après les statistiques publiées en 1830, le nombre des bœufs existants en France est de 2,032,988. Notre consommation s'élève à 483,090 ; nous ne demandons à l'étranger que 10,843, c’est-à-dire , 2 1/4 p. 0/0 de notre consommation. Ilest donc évident qu’une taxe de 0,06 c. à la livre, pesant sur une quantité égale à 2 1/2 p. 0/0 de notre consommation , ne peut augmenter les prix que d’une faible quantité.
Nous avons néanmoins à voir, sile droit a eu une influence notable sur notre approvisionnement et notre consommation. Eh bien, nous pensons que le droit qui, malgré son élévation , n’est qu’un faible élément du prix, ne peut influencer l'importation ; celle-ci est directement déterminée par la situation de la pro- duction , la rareté ou l’abondance, les circonstances météoro- logiques qui agissent sur les diverses récoltes, et permettent de nourrir les bestiaux ou forcent de les abattre, les événements subits qui nécessitent de grands et subits approvisionne- ments.
En effet, consultons le mouvement de notre commerce spécial, nous voyons qu'en 1815, l’importation des bœufs et taureaux n’était que de 4,957; en 1816, temps de la disette et de l'occu pation des armées coalisées , nous la voyons s'élever à 26,017,
3
(34 ) puis baisser successivement pour Lomber en 1820 à 15,254, sans aucune modification dans le droit ; en 1821 , l'importation monte à 27,137 ; en 1822, malgré la loi qui, en juillet, met le droit de 50 fr. en vigueur, l'importation est encore de 17,590.
A la vérité, en 1823, après l'établissement du droit, l’impor- tation tombe subitement à 8,948; mais il faut remarquer d’abord que l'importation avait été exagérée pendant les deux années qui précèdent, et noter ensuite que le chiffre de l'importation croit tout aussitôt, malgré le droit, de manière qu’en 1826, l'importation élait remontée à 15,415; elle avait donc dépassé le le chiffre de 1820. Dans cette dernière année , en effet, l’impor- tation n'avait été que de 15,254.
L'importation des vaches, genisses , etc., suit la même loi : en 1815, le nombre de ces animaux importés était de 3,704: en 1816, l'importation est de 54,993; en 1820, il n’est plus que de 28,012 ; en 1821, il passe tout-à-coup à 37,094; il est encore de 27,485 en 1822; en 1823, après le droit, il tombe à 19,862; mais il se relève bientôt, de sorte qu’en 1826, malgré les tarifs, il était de 37,600. C’est le chiffre le plus élevé depuis 1816; l’année 1821 n'avait donné que 37,094.
Un fait extrémement curieux, qui prouve encore davantage que les variations de l’importation dépendent bien plus des cir- constances de la production que du droït , résulte de la com- paraison de nos importations et de nos exportations. En 1815, l'exportation de bœufs et taureaux est très-faible ; elle est de 4,588, mais elle égale presque l'importation; en 1816 elle est presque double, elle monte à 7,914, mais l'importation était plus que quintuplée ; le pays se placait dans les conditions que lui avaient faites les événements de 1815. De 1817 à 1820 in- clus, l'exportation diminue graduellement, mais faiblement ; de sorte qu'elle était encore de 6,116 en 1829, tandis que lim- portation était tombée de 26,047 à 15,254. Ce qui démontre que l'importation et l'exportation se réglaient uniquement
( 35 d’après les besoins des provinces, et non d’après les circons- tances générales à tout le pays.
En 1821 et 1822 l'importation devient très-considérable , et l'exportation diminue très-notablement ; elle tombe au-dessous du chiffre de 1815, elle n’est plus que de 3,706 et 3,907 : c’est là une preuve que le pays a des besoins assez considérables.
Alors la loi de 1822 est promulguée. Nous avons vu cette loi suivie d’une diminution énorme dans l'importation :427,137 bœufs et taureaux étaient importés en 1821 et 17,590 en 1822 ; nous n’en importons plus que 8,948 en 1823. Evidemment si cette réduction d'importation est causée par la taxe, et non par la cessa- tion d’un besoin, l'exportation diminuera beaucoup ou cessera entièrement. En effet, siles bestiaux sont rares à l’intérieur, s'ils ne sont pas en nombre suffisant pour ia consommation, si les prix s'élèvent d’une manière toute spéciale en France, en raison des droits qui sont perçus à l'entrée des bestiaux étrangers, la France n’exportera plus, ou au moins elle r’exportera que des quantités très-faibles et seulement celles que permettent quel- ques circonstances spéciales de position; elle gardera pour sa consommation tout ce qu’elle produit, puisqu'elle ne peut s’ali- menter par les secours de l'étranger.
Eh bien! c’est le contraire qui est arrivé; en 1823, nous n'importons plus que 8,948 bœufs ou taureaux au lieu de 27,137, et nous en exportons 15,136 au lieu de 3,907; notre importation est diminuée des deux tiers, et notre exportation est quintruplée , preuve certaine que, si en 1823 nous avons fait à l'étranger des demandes beaucoup moins considérables, c’est parce que les bestiaux étaient moins rares, et les besoins moins intenses en France.
On pourra dire que l'expédition d'Espagne a causé l'excès de l'exportation : nous croyons que celte cause a pu avoir une certaine influence. Mais on notera que, si l'exportation fléchit dans les deux années suivantes (1824 et 1825), elle se relève
(36) successivement, de sorte qu'en 1826, quand nos troupes ne pouvaient plus être approvisionnées par l'exportation, celle-ci s'élevait à 10,138 bœufs, chiffre qu’elle n'avait jamais atteint, si ce n’est en 1823.
Les diverses phases que nous venons de signaler dans l’ex- portation des bœufs se font remarquer , à peu-près, dans celle des vaches, genisses , etc. En 1815, l'exportation de ces ani- maux est faible , elle est de 6,377, mais elle surpasse nos im- portations. La valeur totale des individus de la race bovine exportés, était de 150,840 fr. au-dessus de celle des animaux importés; en 1816, l'exportation des vaches, etc., augmente un peu, elle s'élève à 7,999; en 1817, elle est de 8,613; mais l'importation s'était élevée, en 1816, à 54,993, et en 1817, à 45,430 ; de cette époque jusqu’à 1820, l'exportation reste à-peu-près stationnaire, mais diminue cependant un peu, comme l'importation. Dans les années 1821 et 1822, années de besoins, pendant lesquelles l'importation reprend les chiffres de 37,094 et de 27,485, l'exportation tombe à 5,448 et 5,675.
Mais tout change après l'établissement du droit. En 1823, les vaches, genisses, etc., s’exportent au nombre de 10,268. En cette année, le nombre total des individus de la race bovine exportés, ne füt plus que de 3,406 au-dessous du nombre des individus importés, et la valeur de l’exportation était supé- rieure de 528,730 fr. à la valeur de l'importation, parce que les bêtes exportées étaient plus fortes que celles qui étaient importées. La France travaillait à l’engrais. À
Ainsi, après le droit, notre exportation élait plus grande qu’elle n’avait jamais été, et dépassait en valeur notre impor- tation. Comment pourrait-on dire, après cela, que la France a manqué de bestiaux après l'établissement du droit , et à cause de ce droit. Après 1823 jusqu'en 1826, l'exportation des vaches, genisses, etc., diminua jusqu'au nombre de 5,931,
(37 ) c’est-à-dire à-peu-près au chiffre qu'elle avait normalement avant le droit.
Nous venons de constater les effets du droit établi en 1822 jusqu’en 1826. Il faudrait étudier une nouvelle période : Celle de 1826 jusqu’aujourd’hui. Mais à dater du moment où le droit sur les bêtes maigres a été rendu égal à celui établi sur les bêtes grasses, un nouvel ordre de faits se développe, qui a trait particulièrement au mode de perception de la taxe, et que pour cette raison nous examinerons séparément, quand nous nous occuperons de cet objet. En ce moment , nous nous occu- pons exclusivement du droit de douanes, et nous constatons que son influence sur les importations n’a pas été puissante.
Cependant, quelque faible qu'’ait été l’action des tarifs sur les prix et la consommation, on peut désirer voir ces tarifs abaissés. Nous avons à voir les effets de la réduction des droits.
Les plus exigeants ont proposé de les réduire de moitié. Ce serait une différence de 0,03.° au demi-kil. Mais il ne faut pas croire que cette baisse serait acquise en totalité au consom- mateur de viande.
D'abord il faut remarquer que le droit d'entrée ne pèse pas exclusivement sur la chair des animaux ; le cuir, le suif, les issues en doivent supporter leur part. Conséquemment , la diminution du droit ne se reportera pas en totalité sur la partie livrée à la boucherie , proprement dite.
Ensuite on notera que, de même que la taxe n’a pas causé uneaugmentation de prix exactement correspondante , de même la réduction du droit ne causerait pas une diminution qui l’éga- lerait : aussitôt que cette baisse serait obtenue , on demande- rait nécessairement plus de bestiaux aux étrangers; cette demande ferait donc augmenter le prix dans les contrées d’où nous Lirons les troupeaux qui viennent alimenter nos marchés, ear ces contrées sont loin de pouvoir fournir à toutes les
(38 ) exigeances de la consommation. Je n’en veux d’autres preuves que le fait déjà cité, savoir : que les nations dont nous récla- mons une partie de notre approvisionnement, consomment moins elles-mêmes que la France, qu'on assure être si mal- traitée.
On dira, les bœufs nous viendront de régions qui, à présent, ne peuvent nous les fournir; ainsi, ceux de la Hongrie arri- vent déjà jusque dans la Souabe ; ils ne peuvent être conduits jusqu’en France, parce que l’élévation des droits combinés avec les frais de voyage, empêchent de les donner au prix du marché : si les droits étaient diminués ils nous arriveraient. Mais qu'on y réfléchisse bien , ils ne nous viendraient qu’autant que le prix du marché se maintint , car si le prix baissait en proportion de l’abaissement des droits , les bestiaux venus de contrées éloignées se trouveraient exactement dans la même position : Les frais d'introduction seraient moindres, mais les prix de vente seraient plus bas; on gagnerait les droits, mais on perdrait sur la valeur de la marchandise. Pour que les bes- tiaux venant de points plus éloignés puissent être amenés sur nos marchés, il faut, ou que les prix ne baissent pas, ou qu'ils baissent moins que les droits : la différence alors servira à couvrir les frais de parcours : Par exemple, si les droits sont abaissés de 25 fr. et les prix de 12 fr., le producteur éloigné aura 13 fr., pour couvrir les frais d’un voyage qu'auparavant il ne pouvait pas faire : Mais alors aussi le consommateur ne jouira pas de toute la réduction opérée ; la diminution des droits de douanes ne serait pas suivie d'un abaissement égal du prix de la viande; notre population ne profiterait pas de tout ce que perdraient les producteurs nationaux ; il y aurait une prime accordée aux pays qui, maintenant, importent leurs troupeaux en France. En définitive , la diminution de 25 fr. ne pourrait donner, au plus, qu’une baisse de 1 c. 1/2 par demi-kil.
Je laisse à penser si une telle diminution amènerait une bien
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grande amélioration dans la situation des travailleurs , et si elle aurait une notable influence sur la consommation. Cependant, rien de ce qui intéresse les classes laborieuses ne doit être négligé : cette diminution , si minime qu’elle soit , ne peut être repoussée , si elle n’apporte des dommages évidents à d’autres classes de travailleurs qui ont des droits incontestables à une protection efficace. Nous avons à constater quelle action elle aurait sur la production nationale.
Par cela même qu'on a reconnu que la diminution du droit agirait peu efficacément en faveur du consommateur, on pourrait conclure qu’elle nuiraït peu au producteur, on se tromperait néanmoins : il n’y a pas parité absolue : pour le con- sommateur la production ne porte que sur une faible partie de sa dépense; pour le producteur la réduction porte sur son unique bénéfice , elle s’accumule en entier et sans division sur sa seule ressource : ce qui n’est presque rien pour le premier peut être beaucoup pour le dernier.
Il reste donc à voir si la protection est nécessaire aux rour— risseurs de notre pays; mais ce ne sera pas assez, il faudra voir encore s'ils ont droit d'obtenir celle qui est accordée.
Quelques mots suffiront pour éclairer ces faits.
La protection est nécessaire, car certains pays ont de bien plus grandes facilités que la France pour la production des bestiaux : ou ce sont des pays de grandes propriétés, de pro- priétés privilégiées sur lesquelles sont assis de faibles impôts, sur lesquelles la population est rare et mal rétribuée , ou ce sont des régions favorisées par une température plus égale, une humidité plus constante, un sol mieux approprié, ou ce sont des contrées dont les industries agricoles, nécessaires à la satisfaction des besoins de l’homme, entraînent comme une indispensable nécessité l'élève des bestiaux , etc.
En 1822, dans la discussion de la loi qui a eu pour objet l'augmentation du droit, il a été prouvé par les faits rapportés
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par M. de Saint-Cricq, qu'à moins d’obtenir 0,50 c. par livre de viande , il n’y avait aucun bénéfice à engraisser en Norman- die, dans le Maine, le Poitou, etc. Les comptes de la caisse de Poissy prouvent qu'avant cette époque on obtenait ce prix; nous avons vu d’ailleurs que la concurrence étrangère était telle que nos producteurs ne pouvaient plus avoir que 0,42 c. ; que cette concurrence devenait si vive que l’importation était doublée en 1821 , et qu’elle s’accroissait dans la même propor- tion dans le premier trimestre de l’année 1822.
Ces circonstances firent penser qu'il fallait aux producteurs français un droit qui équivalût à la différence établie entre la production extérieure et l’intérieure ; il représentait 6 à 8 c. à la livre, il donnait une protection de 12 à 14 0/0.
On dira, mais maintenant les prix sont élevés, conséquem- ment nos nourrisseurs ont plus d'avantages ; mais les prix sont accidentellement haussés; les circonstances qui les: ont fait élever, comme les épizooties, les mauvaises récoltes de four- rages, les abattages prématurés qui en ont été la suite, ont augmenté les frais de production , et dès qu’elles perdront leur influence , si la protection est disparue , le producteur français se trouvera dans la même position relative avec l'étranger. Il n’y a donc pas possibilité de lui enlever la protection que la loi lui a accordée ; elle lui est indispensable.
- I reste donc seulement à savoir si son industrie est digne de la faveur qui lui a été accordée. Sous ce rapport ses titres ne sauraient être contestés.
. Son importance propre est immense : si l’on calcule à 20 kil. seulement la consommation par tête, ce sont 660 millions de kil. de viandes consommés chaque année, en France, lesquels, au prix de 0,50 c., constituent une somme de 330 millions de fr. annuellement obtenus.
Mais c’est là le moindre des avantages de l'éducation des bestiaux ; elle retire une immense importance de son influence
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sur la production agricole, production qui, en France, est supérieure à celle de toutes les industries réunies ; à elle seule elle entretient trois fois plus d'hommes que tous les travaux industriels ensemble; elle emploie 24 millions d'habitants sur 33 millions. Tandis que l'Angleterre a un agriculteur sur six manufacturiers, nous avons trois agriculteurs sur un ouvrier de fabrique , et cependant l’Angleterre protège avec vigueur sa production propre, et c’est à cette protection efficace qu’elle doit le perfectionnement de ses races et la valeur de son sol.
Il n’est pas besoin que je cherche à prouver que c’est à la présence des bestiaux sur le sol qu’on doit la fertilité de la terre; tout le monde sait trop bien que sans engrais il n’y a point d'agriculture; que l'abondance des fumiers double et triple les récoltes, que le bétail permet la suppression des jachères , en donnant le moyen de fertiliser des terres laissées jadis sans culture, et en consommant le produit des prairies artificielles qui alternent avec les céréales et améliorent plus le sol que le funeste repos auquel on était forcé de l’abandonner. Je pose donc comme un fait incontestable que l'abondance des bestiaux augmenterait le produit des terres annuellement cul- tivées et nous doterait de cette admirable rotation qui rendrait à la production un tiers du sol de la France actuellement impro- ductif.
: Nous ne voulons rien exagérer, nous ne croyons pas que la diminution du droit de douanes ruinerait totalement l’agricul- ture française : plus nuisible aux producteurs qu’elle ne serait profitable aux consommateurs , elle n’irait pas cependant jusqu’à bouleverser de fond en comble notre exploitation rurale; mais, à notre avis, le dommage serait grand. Évidemment elle arré- terait l'éducation des bestiaux dans les cantons où l’on n'obtient aujourd’hui que le bénéfice rigoureusement nécessaire à leur entretien , et ces cantons paraissent nombreux ; elle diminuerait a production de l'élément fertilisant ; elle amoindrirait Ja récolte
(#2) des terres livrées à la culture, et restreindrait l'étendue de la culture, certaines terres étant rendues à l’assolement trien- nal, d’autres étant tout-à-fait abandonnées. Enfin, et cela est surtout parfaitement évident, elle arrêterait l'extension des bonnes méthodes qui doivent rendre la surface arable du pays plus complètement et plus constamment productive.
On à tant de fois dit combien la France aurait à gagner en perfectionnant une agriculture qui s'exerce sur 25,000,000 d'hectares, dont une large partie est laissée périodiquement en friche, dont le reste donne de si maigres résultats, que nous n'eutrerons dans aucun détail à ce sujet. Nous nous contente- rons de poser le fait dans sa généralité, et nous demanderons si les faibles avantages qu’on obtiendrait par une diminution des tarifs équivaudrait aux pertes qu'amènerait la cessation d’une protection suffisante, cessation qui nuirait essentiellement à la production actuelle et arrêterait les améliorations futures.
Nous n’ignorons pas qu’une réponse sera faite à l'argumen- tation que nous venons de poser. On nous dira que s’il s'agissait réellement de la production agricole, on ne songerait pas à lui porter la moindre atteinte; mais que la production restera par- faitement intacte; que la diminution de protection fera tout simplement baisser le prix des fermages, que le propriétaire aura à la vérité un revenu moindre, mais que l’agriculteur , ayant moins à payer, pourra, comme à présent, soutenir la concurrence avec l'étranger ; que conséquemment , la produc- tion agricole ne sera en rien altérée. Telles sont effectivement les réponses qu’on fait habituellement aux demandes de pro- tection pour l’agriculture.
On fait une différence considérable entre la protection indus- trielle et la protection agricole. Quand on établit un droit pro- tecteur des industries, on affranchit le travail national de la concurrence étrangère, mais on ne crée de monopole pour personne: le travail est permis à tout le monde ; la concurrence
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intérieure suffit pour faire baisser les prix , nonobstant les droits d’entrée. Il n’en est point de même lorsqu'il s’agit des produits de la terre : le sol est limité; il est bien rare que l'offre des produits ne soit pas inférieure à la demande ; conséquemment les possesseurs de terre jouissent, en quelque sorte, d’un privi- lège ; conséquemment tous droits de douane qui élèvent le prix de leurs denrées contournent uniquement à leur avantage et leur donne gratuitement un plus large revenu.
Cette théorie repose sur une vérité; mais il faut la voir com- plète. Sans doute, dans quelques cas le revenu seul sera dimi- nué; mais, dans d’autres cas, la culture sera abandonnée, parce que les produits ne pourront plus couvrir les frais ; il y aura surtout beaucoup de perfectionnements arrêtés , parce que les chances de gain seront insuffisantes ; avec la part du proprié- taire, la part du fisc devra nécessairement diminuer aussi, car on ne peut prétendre qu'avec une rente moindre on paie une contribution aussi élevée. Aussi évidemment le produit du sol et les revenus de l’état seront diminués; et cette diminution pourrait être de beaucoup supérieure au bénéfice que vous aurez obtenu par l’abaissement du tarif.
Et puis, cet abaissement de {arif qui aura été concédé pour favoriser les ouvriers en diminuant le bien-être des proprié- taires opulens, n'aura nullement cet effet : les grands proprié- taires sont rares en France, les petits propriétaires s’y comptent par millions ; ces derniers ont acheté leur fonds, non pour en tirer revenu, mais uniquement pour jouir d’un travail assuré et libre; ils ont acquis à haut prix en raison des conditions lé- gislatives sous lesquelles nous vivons, ils ne peuvent subir une réduction dans le fruit de leur labeur sans éprouver une rude souffrance. Est-il juste de la leur infliger ? est-il juste de les priver de toute protection, et de les laisser sous l'influence désastreuse de la concurrence étrangère , quand l’industrie pro- prement dite leur fait payer chèrement ses produits, qu’à bon
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droit on a défendus par une protection efficace ? Non , assuré- ment, ce ne serait ni équitable, ni logique; ce ne serait pas at- teindre des propriétaires hommes de loisir, ce serait frapper la classe la plus nombreuse des travailleurs, celle qui tend sans cesse à augmenter par la division de nos propriétés. Ce n’est pas tout, avant de diminuer Ja rente payée au propriétaire , vous nuirez au travail du fermier. Ceux-ci tiennent à bail, toute réduction pèse sur eux d'abord et les ruine, avant d'aller tou- cher ceux qui possèdent : au renouvellement de bail, ils sont encore loin d’être en position de repousser la charge qu’on fait peser sur eux. Ils sont peu riches , il faut qu'ils travaillent , ils ne peuvent attendre, ils n'ont pas plusieurs industries; leur capital, employé en instruments aratoires , ne peut se transfor- mer, il faut qu'ils cultivent, qu’ils restent jusqu’à un certain point à la discrétion des propriétaires. C’est donc sur eux que pèsera toute entière d’abord, en grande partie plus tard , la ré- duction que vous voulez opérer.
Le but qu’on se propose ne sera donc pas atteint.
Nous concevons fort bien qu’en Angleterre , où le nombre des propriétaires est fort restreint, où la production des manufac- tures l'emporte énormément sur la production agricole, où les arts industriels livrent presque toutes les marchandises au plus bas prix possible, nous concevons qu'alors, surtout si les droits qui protègent les produits agricoles sont excessifs, on songe à les diminuer et à soulager les classes nombreuses qui travaillent dans les manufactures; nous concevens qu’une nalion dont le commerce a déjà une aussi immense étendue , et à qui une formidable puissance navale donne une sécurité parfaite , veuille, en abaissant le prix des denrées de première néces- sité, favoriser encore ses immenses exportations; mais pour la France, essentiellement agricole, la France qui voit la propriété de son sol passer dans les mains de toutes les classes de la nation , qui a une population immense de cultivateurs , et qui
(45) en a besoin pour recruter les nombreuses armées que l’état de l’Europe la force d’entretenir ; que la France , dont le com- merce est si restreint et si précaire, suive aveuglément les doctrines préchées chez ses voisins placés dans des conditions diamétralement opposées, c’est ce qu’il n’est possible ni de concevoir ni d'admettre.
Nous comprendrions parfaitement qu’on songeât à diminuer la protection accordée à un genre de culture, el qu’on diminuât les revenus de ceux qui possèdent certaines propriétés pri- vilégiées, si ce genre de culture prenait une extension déme- surée, et si cette nature de propriété donnait de si grands profits qu’on songeât de toutes parts à lui consacrer des terres autrefois employées à un autre usage. Mais voyez-vous qu'on reconstitue la grande propriété afin d'y élever des troupeaux ? Le sol va se morcellant sans cesse. Voyez-vous qu'on crée de nouveaux pâturages ? La petite culture les fait disparaitre; on exploite la terre pour nourrir l’homme; la nourriture du bétail ne trouve plus de place. Est-ce qu’on se hâte de transformer les jachères en prairies artificielles , afin d'alimenter de nom- breux animaux ? De toutes parts on se plaint que cette améliora- tion se développe trop lentement, il faudrait l'activer, lui donner une impulsion plus rapide, parce que là est une source incalculable de richesses, et non seulement on ne la favoriserait pas, mais on l’arrêterait , on la ferait disparaitre.
Ce motif domine tout : quelque soit le bénéfice que puisse faire un pays , en obtenant à bon marché la viande des contrées étrangères ; la différence de prix ne compensera jamais la perte qu’il éprouve en enlevant à son solles moyens de fertilisa- tion. Vous avez donc l'obligation de protéger convenablement la production des animaux qui s'associent à votre agriculture et qui, en tous les temps et malgré (ous les événements de la politique, fournissent à vos populations et à vos armées un aliment nécessaire. Vous aurez perpétuellement devant les yeux
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cet ordre subit , inoui, universel, qui, à l'heure du besoin, sur toutes vos frontières, vint interdire l'importation des chevaux. Vous ne voudriez pas qu’au jour où la ligue des rois absolus , coalisés par la coustitutionnelle Angleterre, songerait à attaquer notre pays , elle püt décréter pour nous la disette en même temps que l’anéantissement de notre cavalerie. Vous protégerez la production des animaux sur notre sol : il y va de la prospérité de notre agriculture, plus puissante que toutes nos industries ; il y va de notre grandeur politique.
En songeant aux temps de guerre on songera aussi aux temps de disette , et l’on reconnaitra que l'éducation des bestiaux peut nous garantir des effets des mauvaises récoltes : elle demande la consommation d’une certaine quantité de grains donnée directement aux animaux ou employés par les industries qui livrent leurs résidus aux étables; elle exige la culture d’un grand nombre de plantes qui peuvent servir à la nourriture de l’homme : la pomme de terre par exemple. Que les intempéries viennent diminuer les céréales , les industries restreignent leurs travaux; de grandes masses de grains et de pommes de terre sont livrées à notre consommation , les animaux eux-mêmes sont abattus : de sorte que nous pouvous disposer d’une quantité de blé plus grande que celle qui était destinée à notre alimenta- tion ; nous trouvons un immense approvisionnement d'aliments farineux disponibles, nous trouvons en même temps la chair des animaux qui sont sacrifiés. Qu’obtiendrions-nous si les étran- gers nous approvisionnaient en bestiaux ? tout au plus de la viande ; la sortie du blé serait évidemment interdite , et dispen- dieuse à cause des transports; les pommes de terre seraient tout-à-fait intransportables. La réserve ne serait donc pas pour nous.
Toutes ces raisons nous font croire qu’il n’y à pas lieu de modifier les tarifs adoptés pour favoriser la multiplication des bestiaux en France.
(AT ) Ces tarifs n’ont pas causé toute la cherté dont on se plaint. La réduction de ces tarifs n’amènerait pas toute la réduction de prix qu’on espère. Elle est nécessaire à la prospérité de la production agricole. Elle est utile à un nombre considérable de travailleurs. Elle est utile à la puissance et à la sécurité de la France.
DIMINUTION DU DROIT D'OCTROI.
Le droit de douane fait hausser le prix de la viande d’une manière générale ; le droit d’octroi vient causer une nouvelle hausse dans les villes, là où une nourriture substantielle est le plus nécessaire , soit à cause de la faiblesse constitutionnelle des populations , soit à cause du genre des travaux auxquels elles sont soumises. Ce n’est pas dans une faible proportion que l'octroi cause l’enchérissement de la viande : on en jugera par le tarif des principales villes de France :
On paie pour un bœuf. Pour une vache. À Rouen, 30 fr. 20 fr. A Bordeaux, 29 ———— 9, A Marseille, 25 ————— 95 À Nantes, 25 ———— 95 À Toulouse, 24 15 A Lyon, 21fr.50c. —— 21 /fr. 50 c. A Caen, 20 18 À Montpellier, 18 ————— 18 A Lille, 16 50 ——— 16 50 A Strasbourg, 16 ————— 13 A Metz, 45 —————— 15 A Orléans, 44 20 ————— 10 70 À Versailles, 12 ——— 4 À Rheims, 12 —— 12
À Rennes, 8 80
\ 48 ) Les droits d'abattage ne sont pas compris dans les chiffres indiqués. À Paris, le droit sur la viande est presque aussi élevé que le droit de douane. Le voici, décime compris.
Pour un bœuf. Pour une vache. Droit d'entrée, de......... 26 fr. 40 cent. 19 fr. 80 c. Droit de consommation ou
droit de la caisse de Poissy.... 10 » 6 » Droit d’abattage.......... auci6tis).n 4 » 42 40 29 80
A ces droits, il faut ajouter le droit du marché de Sceaux ou de Poissy, qui n’est pas à la charge des bouchers, mais qui, en définitive, tombe à la charge du consommateur ; le droit de lavage des tripées, qui est de 0,15, le droit de cuite des tri- pées, qui est de 0,30; le droit de fonte de suif, à raison de 3 fr. par 100 kil.; la location des échaudoïrs, etc.; nous ne comptons pas tous ces droits, parce qu'ils ne tombent pas di- rectement à la charge de la viande.
Le droit d'octroi de la capitale est donc très-élevé. Le chiffre adopté peut être une nécessité administrative , mais il n'est utile à aucun travailleur , à aucune industrie; il pèse tout entier sur le consommateur , sans procurer aucun avantage au pro- ducteur ; loin de là, en faisant hausser le prix, il diminue la consommation , partant il nuit à la production. Il n’est aucune raison générale qu’on puisse alléguer en faveur du droit d'oc- troi. Nous le répétons, il peut être une nécessité pour les villes ; il peut être indispensablement exigé par les besoins de la police, de l'instruction, de la salubrité et de la sûreté des cités, mais il ne peut être établi que dans les limites rigoureuses de ces besoins; il doit être suspendu ou diminué aussitôt que les nécessités impérieuses du service le permettent; il ne peut
(49 ) être établi où conservé que pour subvenir aux dépenses urgentes; il ne peut être maintenu qu'autant que d’autres impôts moins onéreux pour les pauvres soient reconnus impos- sibles.
Nulle part, en France, on n’a songé à imposer le pain; toutes les populations se seraient soulevées, si cet aliment essentiel était chargé d’une taxe ; on a voulu respecter la nour- riture du peuple ; à ce titre, on aurait dû respecter la viande, car la viande, pour les populations des villes, est presque aussi nécessaire que le pain.
La loi a protégé le vin contre les taxes excessives des com- munes. Il est singulier qu’on ait protégé cette liqueur, même lorsque le vin n’y est qu'une boisson de luxe, à laquelle il est interdit aux classes pauvres de prétendre, et qu'on n’ait pas songé à poser des limites à la taxation de la viande: dans l'intérêt des pays vignobles, on n’a pas voulu que les droits municipaux sur le vin dépassassent le droit qui est perçu aux entrées des villes au profit du trésor; le maximum de ces droits pour les ‘villes les plus populeuses des départements de première classe, est de 4 fr. 80. Par mesure exception- nelle , et pour des cas de nécessité absolue, on a accordé à quelques villes l'autorisation de percevoir la moitié en sus, soit 7 fr. 20 en totalité, c’est-à-dire 7 p. 0/0 de la valeur au maæimum , à peine 2 p. 0/0 pour les vins fins , tandis que dans l'intérêt commun des producteurs de viande et des ouvriers des villes , on n’a pas pris soin de préserver cet aliment d’une taxe qui s’est élevée jusqu’à 13 ou 14 0/0 sur le bœuf et la vache.
D’autres objets de consommation ont été épargnés dans les villes sans plus de raison : par exemple, la houille , employée à l'usage des ateliers, soit comme moyen de chauffage, soit comme principe moteur , a été exemptée de droits, parce que, lorsqu'elle est industriellement consommée, elle a été regardée
non comme un objet de consommation propre à la ville, mais A :
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comme constituant un élément du prix de revient d'une mar- chandise destinée à être expédiée au-dehors. Mais, à ce titre, la nourriture de l’ouvrier, la nourriture rigoureusement néces- saire , dépouillée de toute idée de bien-être et de sensualité, ne doit-elle pas être considérée comme un élément de fabri- cation ? Le principe qui alimente la vigueur des bras qui font tourner les roues des métiers, ne doit-il pas être assimilé au principe qui développe la force motrice des machines.
On ne manquera pas de faire ici une observation : si la viande est un aliment si nécessaire, comment souffre-t-on qu’un droit de douane pèse sur elle; pourquoi ne pas l'affranchir tout-à- fait ? Pourquoi ? nous l'avons dit, parce que la diminution ou la suppression du droit ne ferait pas baisser le prix de la viande proportionnellement ; parce que l'absence du droit de douanes empêcherait la production nationale, diminuerait la fertilité de notre sol, ferait souffrir nos plus nombreuses populations, laisse- rait notre approvisionnement à la merci de l'étranger ; l'ab- sence de toute protection, nous l’avons prouvé, causerait donc plus de maux qu'elle ne produirait d'avantages.
Le droit d'octroi, au contraire, pèse sur les populations, sans aucune compensation. La différence qu'il y a entre les deux droits est si positive, si palpable, qu’elle à été faite pour le premier et le plus indispensable de nos alimens. On n’impose pas le blé à l'entrée des villes, et cependant, dans une certaine limite, on le protège contre la concurrence étrangère.
n’y a donc nulle similitude entre les taxes municipales et les droits de douane. On doit veiller avec une scrupuleuse attention à ce que le droit d'entrée sur la viande ne soit pas trop élevé; à ce qu'il ne soit établi qu'en cas de nécessité absolue; on de- vrait enfin prescrire un maximum qu'on ne pourrait dépasser. On doit poser en principe que la viande est le premier article à dégrever aussitôt que les ressources municipales le permettent. Nous n'admettrions pas, par exemple, qu'une ville comme
(51) Paris, dont le droit d'octroi s'élève à 45 ou 46 fr. avec les ac- cessoirs, conservât une pareïlle taxe, pour faire cesser un impôt moins onéreux, comme le péage sur les ponts, par exemple, qu'on avait, disait-on, le projet de racheter, ete., etc.
CHANGEMENT DU MODE DE PERCEPTION DES DROITS.
Si des plaintes très-vives se sont élevées contre les droits de douane et le droit d'octroi qui pèsent sur les bestiaux, des plaintes non moins vives se sont élevées contre la manière dont ils sont établis et perçus. Le mode de perception qu'on a choisi est assurément le plus commode : le droit est établi par tête et non d’après le poids; on ne fait pas de distinction entre les animaux gras ou maigres. Nous devons rechercher si ce mode de perception est celui qui porte le moins de préjudice à la pro- duction et à la consommation, surtout à celle des travailleurs. Nous aurons ensuite à voir s’il y a possibilité de changer le mode de perception, si pratiquement on peut peser les animaux au lieu de les compter.
Certes, on reconnaitra facilement que la taxation par tête n’est point équitable : deux bœufs d'un poids différent ne doi- vent pas payer la même somme ; deux quantités inégales d’une même marchandise ne peuvent être assujetties à une taxe pa- reille. La viande maigre et peu succulente, destinée à l’alimen. tation du pauvre, ne peut être imposée proportionnellement plus que la viande délicate destinée à la table du riche. Il y a la injustice choquante; maïs il est malheureusement dans la nature des choses d'amener souvent de telles inégalités. Ce n’est pas seulement pour la viande que la tarification confond deux choses distinctes, l'une, recherchée et d'une haute valeur, qui doit être consommée par l’homme opulent; l'autre, grossière et de bas
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prix , à l'usage des classes les plus nécessiteuses : il en est ainsi du vin, par exemple, dont les qualités généreuses et estimées ne donnent pas plus au trésor que les produits des ecrûs les plus vulgaires. Mais alors on a une excuse : c'est l'impossibilité de distinguer d’une manière certaine les deux boissons , et de po- ser une ligne de démarcation entre les excellentes et les mau- vaises espèces, tant il y a de qualités intermédiaires qui vien- nent se placer entre les deux extrêmes. Ici, l’excuse existe- t-elle ? C’est ce qu'il faudra établir.
Pour arriver facilement à une détermination motivée, il est utile de considérer le mode de perception dans son application au droit de douanes et dans son application au droit d'octroi, car il n’agit pas de la même facon, dans les deux cas. Nous commencerons par examiner les effets du mode de perception appliquée au droit de douanes.
Droit de douanes. Lorsque le droit perçu à l'entrée des bestiaux étrangers est établi par tête, et non au poids, qu’il est le même pour tous les animaux d’une même espèce, sans avoir égard , ni à la taille, ni à l’âge , ni à l’état d’engraissement, il a pour effet immédiat d'empêcher l'introduction des bestiaux de petite taille , des bestiaux maigres et des jeunes sujets. On ne peut , en effet, consentir, quand on a le choix, à payer une même taxe pour les animaux qui ont un moindre poids, que pour ceux qui atteignent le maximum de pesanteur, et ont une valeur plus grande. La taxe, répartie sur un plus grand nombre de kilogrammes, sera moindre dans ce dernier cas.
L'effet consécutif de cette disposition est de faire enchérir à l'étranger les bestiaux de haute taille ; car eux seuls sont propres à l'exportation; ils sont plus recherchés, ils doivent avoir un plus haut prix. Conséquemment, le mode de perception du droit par tête, est une augmentation de protection pour la production nationale, car en faisant hausser le prix des bestiaux que l'étranger peut nous envoyer, il met nos producteurs, qui
(93) élèvent principalement les petites races, en position de lutter avec plus d'avantage contre la concurrence extérieure. À ce titre, l’état actuel mérite quelque faveur.
Il est utile à la production nationale d’une autre manière; il empêche l'entrée des jeunes sujets, et conséquemment, favorise les parties de la France qui se livrent à l’élève des bestiaux.
Voilà certainement des avantages : mais ils sont compensés par des inconvénients.
D’abord, la hausse du prix des bestiaux contribue à faire élever le prix de la viande, chose dont on se plaint.
Ensuite la grande valeur des bêtes de haute taille, et Pimpos- sibilité d'introduire les jeunes sujets à un prix convenable, empêchent notre agriculture de s'approvisionner aussi facile- ment, et de perfectionner les races. Cela doit causer un grand dommage , si, comme cela est démontré, la France n’a pas de bestiaux de belle stature, et si elle est peu propre à la formation des élèves.
Puis encore, l’impossihilité d'introduire les bêtes maigres nuit essentiellement à toutes les industries qui ont pour but d’engraisser les animaux; elles ne peuvent, qu’à grand peine, se procurer les sujets qu’elles doivent mettre en point d’être livrés à la boucherie, et on les force à n’engraisser que des animaux de petite taille, tels qu’on les trouve dans le pays, tandis qu'il serait si important de nourrir des bestiaux volu- mineux, puisque le poids des os en est proportionnellement moins considérable. La différence est au moins d’un tiers. On diminue ainsi considérablement la quantité de la viande pro- duite; on diminue surtout la production de la viande dans le voisinage des villes, là où elle est le plus nécessaire ; on empêche d'utiliser les nourritures que les travaux industriels y pro- duisent abondamment, tandis que les pâturages y deviennent de plus en plus restreints; on force les agglomérations de popu- lation à chercher leur approvisionnement au loin, on leur fait
supporter la dépréciation qu'éprouvent par le voyage les animaux cograissés, on leur fait subir les conséquences fà- cheuses d'un prix plus élevé.
Eofin l'assimilation des bœufs petits et maigres aux bœufs de belle stature qui ont été mis à l’engrais tend à faire donner la préférence aux vaches grasses plutôt qu'aux bœufs d’un petit poids : car il vaut mieux payer 25 fr. pour une vache engraissée qui pèse 250 à 300 kil. que donner 590 francs pour un bœuf de de petite espèce qui pèse à peine davantage en viande et qui n’a pas de suif; on manque ainsi son but : on voulait que nous ue consommassions plus que des bœufs de premier choix on nous fait manger des vaches; on en favorise l'introduction au détriment du consommateur.
Voyons si les faits constatés par les documents officiels con-
“Hirment les prévisions que fait naître l'examen théorique des choses. Nous avons à reprendre l’étude des documents fournis par les douanes à dater de l'époque où cessa la distinction faite entre les bêtes maigres et grasses.
C’est en 1826 que la loi de 1822 a été modifiée : le tarif est resté le même pour les bœufs et les vaches à l’état d’engraisse- ment; mais les bœufs maigres au lieu d’être admis au droit de 16 fr. 50 c., ont payé 55 fr.; et les vaches maigres , au lieu de payer 6 fr., ont payé 95 fr.
À dater de cette époque l'entrée des bœufs va en diminuant graduellement jusqu’en 1838 ; elle était en 1826 de 10,138, elle n’est plus en 1838 que de 4,778, ce qui prouve que nous achetions bon nombre de bœufs maigres et que l’uniformité de tarif a eu une influence plus continue sur l'importation que l'élévation de droit consacrée par la loi de 1822. IL faut noter cependant que l'importation était restée à peu près stationnaire jusqu'en 1830 ; ce n’est qu'à cette époque qu'elle commença à diminer notablement ; il faut noter encore qu'en 1839 le chiffre de Fimportation se releva jusqu'à 7,374.
a
( 55 )
Pour savoir au juste si la diminution dans je chiffre de l'un- portion ne provient pas d’une diminution du besoin, il faut voir la marche que suit l'exportation : si elle augmente pendant que l'importation diminue, nul doute que celle-cine soit restreinte que par surabondance ; mais si, en même temps que le chiffre de l'importation baisse, celui de l'exportation reste stationnaire ou décroit même, nul doute que l'importation ne soit arrêtée par un obstacle artificiel, le tarif.
Eh, bien! l'exportation diminua successivement pendant cette période , si non dans la même proportion que l'importa- tion, au moins d’une manière non interrompue : de 10,138 bœufs, chiffre de 1826, elle était tombée à 5,791 en 1835; en 1836 l'exportation s'était relevée à 10,411 , et avait ainsi dépassé le chiffre de 1826, ce qui annonce alors le retour de l’abondance. Mais en 1837-38 le chiffre de l'exportation diminue de nouveau, l'importation diminue de même, ce qui annonce que l’abon- dance n’est plus aussi grande; enfin, en 1839, l'exportation n’est plus que 6,470 , bien que l'importation soit augmentée un peu, ce qui indique le moment de la plus grande cherté. Ainsi, ïl est vrai qu'une certaine abondance a pu renaître malgré les droits de 1826 ; mais on ne peut se dissimuler qu’en somme ils ont agi sur nos approvisionnements d’une manière plus fàcheuse que ceux de 1822.
Voyons maintenant ce qui s’est passé relativement à l’impor- {ation des vaches, génisses, etc., depuis la loi de 1826. Le premier effet de cette loi a été de faire augmenter l'introduction des vaches, génisses et veaux , bouvillons et taurillons : en 1896 il n’était que de 37,600; en 1827 il montait à 39,799 ; en 1828 ilétait de 54,106. Les vaches, génisses, etc., viennent prendre la place des bœufs maigres. L'importation diminua cependant un peu en 1829 ; plus encore en 1830 , et à dater de cette année la diminution devient de plus en plus sensible, jusqu'en 1835;
(56) mais elle se relève plus tôt que l'importation des bœufs : dés 1835 l'importation des vaches, génisses , etc., est de 24444; elle augmente progressivement jusqu’en 1839, où elle est de 33,614; l'introduction des bœufs ne s’est relevée un peu qu’en 1839.
Pendant cette période l'exportation des vaches, génisses, etc., va toujours diminuant jusqu’en 1835; elle est pour 1827 de 5,989 , et pour 1835 de 3,178. Ainsi, pendant les premières années, le besoin est grand puisque l'exportation diminue avec une augmentation d'importation. Plus tard le besoin, quoique moins grand, ne cesse pas, puisque l'importation diminue en même temps que l’exportation. En 1836 , comme pour les bœufs, l'exportation augmente notablement; elle s'élève à 12,947, quoique l'importation soit en décroissance ; c'était une année où la viande était en abondance ; après cette année l'exportation continue à décroître sensiblement , surtout en 1339 ; elle n’est plus alors que de 5,747, quoique l’importa- tion tende à augmenter. Ce mouvement , en concordance avec celui observé dans celui de l'importation et l'exportation des bœufs, annonce un besoin plus vif vers 1839.
Ainsi, d’une manière générale , l’effet de l’uniformité des droits sur les animaux gras et maigres établie en 1826, a été de faire diminuer l'introduction des bœufs, et de faire augmenter proportionnellement celle des vaches , génisses et veaux; elle a aussi pour effet de faire diminuer l'importation totale en même temps que l'exportation ; elle va même à la fin jusqu’à faire diminuer l’exportation quand l'importation s’accroit ; ce mouvement n’est interrompu qu’en 1836 , époque où l’exporta- tion s’est accrue, bien que l'importation ait suivi une progres- sion descendante.
La modification du tarif opérée en 1826 a donc cu une influence plus marquée que l'élévation des droits effectuée en 1822.
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Si donc le mode actuel de perception du droit des douanes à quelques avantages, s’il augmente la faveur de la protection accordée à la production indigène, s’il facilite l'élève des bestiaux , il a des inconvénients qui les compensent largement ; il rend l’approvisionnement de l’agriculture plus difficile , il nuit aux industries qui ont pour but l’engraissement des bestiaux , il concourt plus puissamment à l'élévation des prix dela viande, il force la consommation à prendre un plus grand nombre de vaches. En un tel état de chose il faut donc s’efforcer d'adopter un mode de perception plus favorable au consommateur : il faut percevoir le droit en raison du poids.
Objectera-t-on que la perception sera très-difficile, qu’elle sera impossible ? mais on ne persuadera à personne qu’il est bien difficile de faire passer un troupeau , par groupes, sur une bascule ; et d’en constater le poids. Dira-t-on que les troupeaux introduits appartiennent à maints propriétaires, et qu’il sera impossible d'appliquer à chacun la quotité des droits afférents aux bêtes qu’ils nous envoient ? mais s’il est vrai que les ani- maux qui composent les troupeaux ont été fournis par divers propriétaires, on doit reconnaître qu'ils ont été vendus avant l'importation , et qu’ils appartiennent désormais à une seule per- sonne. D'ailleurs, ne serait-il pas possible de former les groupes de pesées avec les animaux appartenant au même propriétaire ? N’est-il pas facile à ceux-ci, de faire peser leurs animaux avant l'expédition, et de savoir ainsi, à l’avance, le maximum du droit qu’ils auront à payer, et siles troupeaux éprouvent une dé- perdition pendant le trajet, ne peut-on pas répartir proportion- nellement la diminution de droit qui en résulte. Évidemment, il y aura des difficultés; mais sans aucun doute, on parviendra à les lever. Conséquemment, on ne peut trouver là un motif de repousser un moyen qui peut procurer des avantages aux populations et rapprocher du but qu’on se propose, un plus facile approvisionnement de viande de boucherie.
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Si le droit au poids était calculé de façon que les bœufs, d'un poids moyen, assez largement évalué, payassent le même droit qu'aujourd'hui, il y aurait réellement une diminution , puisque tout ce qui entre maintenant de bœufs au-dessous de ce chiffre serait dégrevé, et les bœufs qui, exceptionnellement, pèsent davantage , entreraient plus rarement. Si on admettait 0,14 c. au kil, ce chiffre donnerait 50 fr. au bœuf de 353 kil., poids supérieur même au moyen de 1834, qui était de 350. Consé- quemment , le bœuf de poids moyen, qui est aujourd’hui de 315 kil. seulement, paierait moins.
Si on adoptait le poids comme base de la perception, il fau- drait convertir le poids de viande nette en poids brut, afin d'éviter les contestations avec les importateurs : il faut que le chiffre de la perception soit dans la loi, et la quotité sur la ba- lance. Ce n’est conséquemment pas le droit de 14 cent. qu'il faudra mettre sur le kil. du poids brut ; il faudra diminuer ce chiffre de plus de 1/3.
Droit d'octroi. La perception de la taxe par tête , à l'entrée des villes, a, comme ce mode de perception appliquée à l'entrée du royaume , des avantages et des inconvénients; mais ici les inconvénients sont bien plus saillants et les avantages beaucoup moindres. |
Le même droit est perçu à l'entrée des villes sur chaque tête d'animal , quel que soit son poids (1) ; ainsi les animaux qui ont acquis les plus grandes dimensions, paient proportionnellement moins que les bestiaux de petite taille. Une telle disposition doit conduire à perfectionner les races et à élever de préférence les espèces plus fortes et plus grandes. Tel est l'avantage qu’on indique comme résultant du système actuellement en vigueur ; mais il donne pour l’approvisionnement des villes, une prime
1) Lyon a, depuis peu de temps , adopté la perception en raison du poids.
( 59 ) aux producteurs étrangers qui sont plus que nos nourrisseurs en mesure de fournir des bestiaux de haute taille; il rend trop chères les viandes de médiocre qualité que réclament les classes pauvres: le droit d'octroi va souvent plus loin que le droit de douanes , car dans nombre de villes , il soumet les vaches à la même taxe que les bœufs; il en rend donc le prix trop élevé.
L'avantage que nous avons signalé, fera-t-il oublier de tels inconvénien(s ?
Des agronomes dont le nom a une grande autorité, regardent le mode de perception adopté comme l’encouragement le plus nécessaire , et comme une conséquence des tentatives que font les sociétes d'agriculture et le gouvernement pour améliorer le bétail en France. « Ne vous semble-t-il pas étrange, dit » M. Tourret, que dans tous les comices agricoles, dans toutes » les sociétés savantes, on dise à l’éleveur : Je vous accorde » une prime pour vos beaux produits , et que dans vos lois » vous écriviez : Si vous produisez très-beau je ne sais pas si » vous trouverez preneur ? » Nous concevons fort bien qu'on accorde des primes à ceux qui font des efforts pour améliorer les races; mais nous ne concevons pas qu’on ruine ceux qui ne sont pas assez riches pour s’élancer dans la voie dans laquelle les attendent vos récompenses. Et d’ailleurs, la vache, il faut bien qu’elle se consomme. Quels que soient vos encouragements, vous ne la rendrez pas aussi pesante que le bœuf. Comment donc les villes de Marseille , Nantes, Lyon, Montpellier, Lille, Metz, Rheïms, ont-elles pu adopter le même tarif pour la vache que pour le bœuf ?
Voulez-vous en interdire la consommation dans les villes ? ou bien direz-vous aux ouvriers que leur pénurie force à re- courir à la viande à bon marché : vous pauvres, vous paierez un impôt plus considérable , car c’est les imposer davantage que d'établir un droit pareil sur un bœuf qui pèse 350 kil., et sur la vache qui pèse 250. Dans le premier cas, un octroi de
( 60 ) 95 fr. donne, sur un bœuf 0,07 au kil, et sur la vache 0,10. De tels faits sont exorbitants.
Nos troupeaux existent, et, tels qu’ils sont , ils sont employés par notre agriculture à cause de leur force de traction, de leur lait, de leurs laines, de leurs engrais; pour les remplacer, il faut un temps suffisant et un capital déterminé: le capital man- que à nos agriculteurs; en raison de cela, faut-il amoindrir dans leurs mains la richesse qu’ils possèdent, et avec laquelle ils pourront tenter des améliorations successives; parce qu’ils ne peuvent améliorer, faut-il leur faire perdre ce qu'ils ont ?
C’est cependant ce qui doit arriver si les droits d’octroi sont combinés de manière que les bestiaux d’un petit volume ne puissent arriver sur le marché de certaines villes.
Nous comprendrions qu’on voulût conserver le droit de douanes par tête pour favoriser l'introduction des animaux de choix. Si l’on a recours aux étrangers, il faut que ce soit pour un perfectionnement; mais une fois entrés, il faut que les ani- maux paient à la consommation des villes proportionnellement à leur valeur , c’est-à-dire à la quantité de viande qu’ils four- nissent. Sans cela vous détruirez par l'octroi la protection que vous accordez à notre agriculture par le tarif des douanes. Don- nons ensuite, si nous voulons, des récompenses à ceux qui font des efforts pour restaurer les espèces bovine et ovine; mais ne rendons pas improductifs les faibles bestiaux que possèdent nos agriculteurs. Et d’ailleurs est-ce une question jugée que celle du changement des races? Le changement est-il pro- fitable à toutes les régions ? est-il possible, dans tous les cas, non-seulement en raison du capital qu'il exige, mais encore en raison des conditions physiques de chaque con- trée ? satisfait-il aux exigences du climat, aux nécessités diverses de l'alimentation, aux usages de l’agriculture, au genre de consommation des populations ? faut-il ne soigner que les variétés qui n’ont d'avantage que leur précoce obésité
(61)
et abandonner celles qui sont excellentes pour le travail ? Si ces questions n'étaient pas Loutes résolues en faveur du changement de race, de ce que les comices agricoles distribuent des primes pour les bestiaux de haute taille, il n’en faudrait pas conclure qu'il faut les suivre dans la voie qu’ils ont adoptée et régler l'économie du pays sur leurs préceptes; il en faudrait conclure que les comices ont tort.
Mais les comices sont loin d’exciter toutes les régions à déve- lopper les mêmes espèces; ils savent que l’on commettrait une grave erreur si l’on disait que toujours et partout les grandes races doivent expulser celles que nous possédons.
Il est des contrées qui ne pourraient les conserver, à cause des qualités de leur sol et des nourritures qu’elles fournissent. Mettrez-vous sur des côteaux desséchés des bœufs accoutumés aux gras pacages des contrées fertiles ? ou , dans les plaines hu- mides de la Flandre, parquerez-vous les moutons aux fines toisons qui vivent bien dans les contrées plus sèches et plus mé- ridionales ?
Si c’est pour le travail que vous devez utiliser les bestiaux, astreindrez-vous tout le monde à la même règle ? Le bœuf doit être accouplé, on ne divise pas sa force; placerez-vous au joug des animaux de même taille , quel que soit l'effort qu'ils doivent produire dans quelque sol qu’ils doivent tracer un sillon ?
Enfin, si c'est la consommation que vous avez en vue, oublierez-vous les faits qui ont été cités, oublierez-vous que la consommation ne peut , en tout lieux, prendre des bestiaux de même taille ? Voudrez-vous ignorer qu’une bonne économie agricole exige qu'on puisse lirer parti des vaches avant leur dépérissement ? oublierez-vous que la vente du lait en exige un grand nombre dans le voisinage des villes ? ne noterez-vous pas que les distances des lieux de production, que les diverses nourritures fournies par les industries agricoles et le climat, que la situation nécessaire des populations industrielles, doivent
(62) faire donner la préférence à des espèces diverses ? poser une règle uniforme et dire : il faut partout des bœufs de haute stature , partout les animaux les plus directement propres à la boucherie et à la consommation de luxe , c’est poser un axiome nuisible.
L’agronome distingué, dont la sagacilé a fait tant d’impres- sion sur la chambre, l'a dit lui-même : « Deux bœufs valent mieux qu'un. Le détail en est plus facile, et de plus, il y a deux cuirs, deux issues, etc. Je crois donc, jusqu’à ce qu'un boucher vienne nous dire le contraire, que toutes les fois qu’à égale qualité il aura le choix entre deux petits bœufs et un gros, le boucher prendra les deux petits. » Pourquoi donc empêcher le consommateur peu aisé d'obtenir tous ces avan- tages.
On s’étaye des avantages mêmes de la petite race pour la proscrire; on nous dit que les petits bestiaux ont déjà un pla- cement assez grand, que « si quelque chose est primé, c’est la petite race, » parce que partout où le débit d’un boucher ne s'élève pas au taux moyen de la grande race, la grande race est interdite ; or, la France a beaucoup de petites villes et de petites boucheries qui ne peuvent débiter des bœufs de 300 kil. Les petits bœufs qui se rendent à Paris trouvent preneurs tout le long de la route, et arrivés à Sceaux et à Poissy, ils ne restent pas sans marchands : 130,000 bœufs arrivent annuelle- ment sur ces marchés ; Paris en prend 70 à 72,000, il en reste done 58 à 60,000 pour la banlieue et les petites villes voisines. Voilà ce qu’on dit contre le dégrèvement des petits bestiaux. Mais il faut prendre garde, on change la question : Il ne s’agit pas de savoir s'il est utile d'accorder une faveur aux grands animaux. De quoi s'agit-il ? de donner la viande à meilleur marché aux grandes villes , aux vastes agglomérations de popu- lation. Eh bien ! les faits qu'on vous cite prouvent précisé- ment que les grandes cités ne peuvent donner aux classes
( 63 laborieuses une viande moins chère, de moindre qualité, mais pourtant parfaitement saine et éminemment utile. Elle arrive aux portes de la capitale et des principales villes, mais ne peut y être introduite, parce que les bestiaux de pre- mier choix ont une faveur , par cette raison qu'ils ne paient pas plus.
On répondra à cela, les animaux qui sont abattus en-dehors de Paris, par exemple , ne sont pas entièrement perdus pour cette ville, les meilleurs morceaux entrent comme viande à la main, parce que les morceaux de choix peuvent payer un droit élevé. Voilà qui est bien; mais ce sont encore des aliments destinés aux riches pour lesquels les barrières sont levées ; on prive les classes laborieuses de cette utile combinaison qui fait payer un prix double aux hommes opulents qui ne prennent que les parties délicates des animaux abattus, et permet de distribuer le reste, à plus bas prix, aux classes nécessiteuses. En toutes choses, de tels arrangements se font dans les sociétés d’une civilisation avancée; c’est parce que les hautes classes de la société sont amenées à payer chèrement les étoffes de première nouveauté, que le pauvre trouve à se vêtir plus éco- nomiquement , en se contentant de tissus dont la mode s’est lassée. Vous ne voulez pas qu’il en soit de même pour la viande; vous permettez bien que la table recherchée ne manque pas d’approvisionnement , mais vous empêchez que les morceaux communs parviennent aux nécessiteux; sous prétexte de ne donner à tout le monde que des viandes de première qualité, vous privez les plus indigents de toute nourriture. Ceci ne salisfait en aucune facon aux exigences de la situation qui excite notre sollicitude.
Il ne faut donc pas favoriser exclusivement les animaux les plus propres à la boucherie ; il ne faut pas proscrire les espèces inférieures ; elles sont plus propres à la culture de certains can-
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tons ; elles sont préférées par la consommation d’an très-grand nombre de localités; elles souffrent mieux les conditions de certains climats; elles s’accommodent mieux de la nourriture fournie par certains sols; elles sont plus profitables à certaines industries ; elles facilitent la consommation du pauvre en mul- tipliant l'espèce de viande qui est à sa portée; enfin, dans la petite espèce, est comprise la vache de toutes les races; il n’est pas possible de la proscrire, il faut au contraire souhaiter, dans l'intérêt de la population et de la culture, que la consom- mation en soit bien ménagée.
Il est utile, sans doute, de favoriser la création des plus beaux bestiaux, là où cette création est possible et où elle est lucrative ; il faut donner des encouragements pour que le zèle ne manque point, et que les moyens ne restent pas insuffisants lorsque les circonstances sont favorables : Mais il n’est pas rationnel de leur faire une place toute spéciale dans la consom- mation générale; il n’est pas rationnel de proscrire, en quelque sorte, une race que parfois on ne peut remplacer et qui, du reste, a des avantages qui lui sont propres; il n’est pas ration- nel surtout de ne laisser l’accès des marchés des grandes villes qu'aux races de choix, et d’en exclure nos propres troupeaux au grand détriment de notre agriculture et des consommateurs qui ne sont pas dans l’aisance. 11 y a donc lieu de ne pas laisser aux bestiaux les plus forts la faveur exclusive qui leur est ac- cordée par le système de perception du droit d’octroi; il est encore plus utile d'admettre la taxation au poids, à l'entrée des villes qu'aux frontières du royaume.
Ici se retrouvera l’objection déjà rencontrée, à l’occasion du droit des douanes, c’est la difficulté de peser les troupeaux. Mais cette difficulté, qui n’est pas insurmontable pour les douanes, est bien moindre encore pour les villes. Le marché peut se tenir en-dehors des villes , comme à Paris , et alors tous bestiaux qui entrent sont assujettis au droit, conduits à l’abat-
’
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loir , et pesés avec toute facilité pour le compte de l’adminis- tralion, comme il l’est déjà pour le compte du boucher. Ou bien le marché se tiendra dans l’intérieur de la ville. Dans ce cas, il faut qu'il soit fermé, qu'il se tienne à l’abattoir même, par exemple, que les troupeaux soient convoyés à leur entrée , et que ceux qui ne doivent pas être livrés à la consommation soient de nouveau convoyés à leur sortie; ceux qui restent seront pesés à l’abattoir , comme on l’a déjà dit. Il peut y avoir là quelques embarras et quelques frais de surveillance, mais on ne saurait y apercevoir d'obstacles insurmontables.
Nous pensons donc que le droit d'octroi doit être perçu au poids, avec plus de raison encore que le droit de douanes. Nous pensons aussi que le maximum du droit d'octroi doit être limité avec autant et plus de raison que les droits sur les vins; nous pensons enfin qu'il doit être réduit au taux rigoureux exigé par les dépenses indispensables des communes. Ce n’est pas au moyen de cet impôt qu'elles doivent se livrer aux dé- penses de luxe. On pourra obtenir ainsi des avantages notables pour la consommation des grands centres de population, qui ont le plus besoin d’une nourriture largement réparatrice.
Mais il est d’autres causes d’enchérissement qui agissent d’une manière plus intense, peut-être, que les taxes et le mode adopté pour les percevoir : Ce sont l’organisation de la bou- cherie et la situation de notre agriculture : Nous devons nous hâter d'étudier cette partie de notre sujet.
CHANGEMENT DE L'ORGANISATION DE LA BOUCHERIE.
C’est principalement pour les villes que la viande est néces- saire; c’est principalement dans les villes que le prix de la 6)
| 66 ) viande est élevé. Le droit d'octroi en est en partie cause; l’or- ganisation de la boucherie vient s'ajouter à l’effet de l'octroi. A Paris surtout , la différence qui existe entre le prix de vente en détail et le prix d'achat en gros est énorme ; là surtout, le commerce de la boucherie vient mettre les consommateurs en une situation pénible. Il est donc nécessaire de rechercher si l'on ne peut obtenir quelque amélioration sous ce rapport ; il est nécessaire de savoir si l’on ne pourrait restreindre les bénéfices faits sur le détail de la viande.
Pour arriver à un résultat satisfaisant , il faut d’abord déter- miner, avec quelque précision, le bénéfice fait par la bou- cherie , et cela n’est pas facile: il faut établir le prix d'achat sur pied, les frais, le prix de vente, toutes choses qui restent environnées d'assez d’obscurités. Nous pensons cependant qu'on peut arriver à une approximation suffisante , en étudiant avec soin cette matière difficile : les détails de cette étude paraîtront bien peu élevés , maïs il est nécessaire de les aborder. Pour marcher avec certitude , nous aurons soin de n’accepter que des renseignements officiels ou incontestés, ou prendre même les déclarations des bouchers plutôt que d’adopter des faits qui ne seraient pas complétement prouvés.
D'abord, établissons le prix de la viande sur pied.
M. le ministre du commerce disait à la chambre des députés, dans sa séance du 27 mai 1841, que le poids moyen des bœufs n’était plus que de 315 kil. et que le prix moyen était de 382 fr. Ce qui équivaudrait à 1f,20 le kil. ou 0f,60 la livre.
Ce prix est-il incontestable ? On sera disposé à en douter, si l'on s’enquiert de la manière dont il a été formé. Pour l’établir, on a recours , sans doute , à la caisse de Poissy : cette caisse doit fournir, d’une manière sincère, le prix d'acquisition, et nous ne nous permettrons d'élever aucun doute à ce sujet ; mais le prix d'acquisition ne fournit aucune donnée, si on ne le com— pare au poids réel des animaux achetés. C'est seulement de
(67) cette facon qu’on peut trouver le prix de la livre de viande. Eh bien, les bœufs achetés ne sont pas pesés, le poids est évalué d’une manière qu’en peut dire arbitraire ; voici comment les choses se passent :
Une commission de sept à huit bouchers est nommée, et c’est cette commission, intéressée à amoïindrir le poids, pour faire paraître plus élevé le prix de la viande, c’est cette commission, qui n’a aucun contrôle à redouter, qui évalue le poids. Il peut donc y avoir de graves erreurs dans cette évaluation. En ad- mettant donc comme positif le prix d'acquisition, en admettant qu’il s'élève à 382 fr., on peut contester le poids de 315 kil., et conséquemment, soutenir avec raison que le prix de la livre ne ressort pas à 0f,60.
Des renseignements précis, obtenus de personnes qui vendent leurs bestiaux à raison du poids réel de la viande nette, nous font penser que le prix est de 0,55 c. le demi-kil.
Au prix d'acquisition il faut joindre les frais. Ici l'embarras devient plus grand encore ; nous retrouvons l’évaluation arbi- traire faite par les bouchers eux-mêmes, mais plus de difficultés pour réduire leurs assertions à leur juste valeur. Aussi, pour ne pas éprouver de contradictions, nous accepterons la déclaration faile au nom du commerce de la boucherie de Paris. Voici dans quels termes il s’exprime dans un mémoire publié en son nom :
« Les droits de consommation, d’entrée dans Paris , d’abat- » tage, droit du suif, de cuisson de tripes, aménage , frais des » marchés de Sceaux et de Poissy, frais de manutention dans » les abattoirs, transport des viandes, loyer d’étal, impositions, » patente, salaire des étaliers et garçons bouchers, entretien » du linge, des ustensiles servant à l'exploitation, frais de nour- » riture, etc., etc., occasionnent sur quatre bœufs environ, par » semaine, formant le terme moyen du commerce , et déduc- » tion faite du tiers des frais pour les veaux et moutons qui
: 68 | » forment environ le tiers du commerce une surcharge de » 0,13 c. par livre de viande. »
Nous l'avons dit , quelque élevés que nous paraissent ces frais, nous les prendrons pour incontestables : la seule chose que nous ferons , ce sera d'élaguer ceux qui, évidemment , ne sont pas à la charge de la boucherie : ainsi , le droit du marché de Sceaux n’est pas payé par l'acheteur, mais par le vendeur ; il ne doit pas, conséquemment, être ajouté au prix principal. Ce droitipeut s'élever: à... 24.002203. 00000, 3,00 par tête.
Le droit de lavage des tripées ne doit pas non plus être compris dans les frais du boucher. Les tripées sont vendues, et demeurent conséquemment avec tous leurs frais à la charge de celui quiles apprétera , il en est de même du droit de
cuite. Le droit de lavage est de.............. 0,15 par tripée. Be droit de Culte, de MR Per nee 0,30 id.
Pour le droit de fonte de suifs et de location d’échaudoir , on fera la même observation que pour les tripées; le suif est vendu brut, tous les frais de préparation sont en dehors des frais de la boucherie.
Le droit de fonte de suif est de 3 fr. par 100 kil. ; le bœuf du poids moyen renferme à-peu-près 55 kil. Le droit est donc de 1,65 pour un bœuf.
Ces frais, qui sont mal à propos comptés, et qui, par paren- thèse , font croire qu’on n’a pas été sans enfler le compte, doi- vent être déduits à coup sûr des frais qui,sans qu’on puisse les contrôler, sontdemandés par les bouchers. Ils font à-peu-près 0,01 par livre.
Il y a donc lieu de ne porter qu'à 0,12 tous les frais que peuvent indiquer les bouchers.
( 69 ) . Si on ajoute cette somme au prix d'acquisition, qui est de 0 ,55,on obtiendra un prix de revient qui s'élève à 0,67.
Maintenant , quel était le prix de la viande de bœuf, à Paris, à l’époque choisie pour établir le prix de revient ? Il est notoire qu’elle se vendait à 0,75. On dit qu’il y a quelques morceaux qui se vendent à plus bas prix, mais il y en a qui se vendent à un prix double : cela fait compensation.
Il y a donc un bénéfice de 0,08 par livre sur une valeur de 0,55 ; c’est plus de 14 p. 0/0 par semaine ! Si on comprend les frais, ce sera encore à-peu-près 12 p. 0/0, toujours par semaine.
C'est déjà là un assez beau bénéfice, mais ce n’est pas le principal. Tous les calculs que nous venons de faire seraient exagérés; le prix d’acquisisition serait de 0,60 au lieu de 0,55; les bouchers n’obtiendraient conséquemment la viande qu’à 0,72 au lieu de 0,67; conséquemment, ils n'obtiendraient que 0,03 de bénéfice sur le prix de vente en détail, c’est-à- dire que 4 p. 0/0 par semaine au lieu de 12, que leurs profits seraient encore supportables; ils vendraient même au prix d'achat , que leur situation serait encore fort heureuse; on s’en assurera facilement , si l’on prend la peine de rechercher ce qui se passe dans le commerce de la boucherie.
Pour le prix moyen de 382 fr., les bouchers obtiennent un bœuf qui, en moyenne, donne 315 kil. de viande nette, ou 630 livres , d’après le calcul de la commission même des bouchers.
C’est sur ce nombre de kil. que nous avons réparti la somme payée pour l'achat et les frais, et c’est d’après ces bases que nous avons trouvé que la livre de viande vendue 0,75 avait coûté 0,67. La différence a été le premier bénéfice du détaillant ; mais outre ce bénéfice, le boucher a obtenu encore le cuir, le suif,
(70) les issues et abats : en comptant le tout au plus bas , on trouve les résultats suivants :
Le cuir se vend à 0,40 la livre; celui du bœuf moyen
DR ON SONT AT AL ECUE GER TUE QAR 34 fr. Le suif se vend brut 0,50 la livre, et produit. ..... 55 Les issues et abats se vendent................... 8
LOTAD TETE 97
Le boucher a donc un bénéfice de 97 fr. à répartir sur 630 liv. c'est 0,15 c. 1/3 par livre, valant 0,67 ; c’est un bénéfice de 0,22 p. 0/0 par semaine, si l’on compte que le prix de vente est égal à celui d'achat; mais si l’on ajoute ce bénéfice à celui de 0,08 c. ou 12 p. 0/0 fait par la différence du prix d’achat sur le prix de vente , tous frais compris, on obtient un bénéfice de 34 p. 0/0, et par semaine.
Le bénéfice fait par les bouchers de Paris est donc énorme; mais on fait remarquer qu’il peut paraître considérable dans sa relation avec le capital engagé, sans être excessif d’une manière absolue , parce que la somme totale qui revient définitivement à chacun n’est pas grande, attendu que le nombre des bouchers est trop considérable pour que la masse d'affaires réservée à chacun soit forte. Il est bien facile de savoir combien il re- viendra à chacun d’eux :
Paris consomme 22,000 vaches, pesant de 459 à 500, en moyenne 475, ce qui donne. 10,450,000 livres. Il consomme 70,000 bœufs à 630 livres, ceGidonne............ UP). 44,100,000
TOTAL !. ASP MENT EE 54,550,000 livres.
Si sur chaque livre de viande, on fait un bénéfice de 0,08 c. d'abord, et de 0,15 c. ensuite, c'est-à-dire 0,23 c. par livre, cela
(7) fait une somme de 12,446,500 fr., qui, partagés entre les 500 bouchers de Paris, donne , pour chacun d’eux , 24,898 fr.
Il faut noter encore que d’après la déclaration des bouchers de Paris, la grosse viande ne forme que les deux tiers de leur commerce : les moutons et les veaux forment le dernier tiers. Nous manquons de documents pour établir le bénéfice fait sur cette partie du commerce de la boucherie : ce serait aller trop loin, peut-être , que de prétendre que le bénéfice fait sur cette viande , est en rapport avec le bénéfice fait sur la viande de bœuf ou de vache; mais enfin , il est certain qu’un bénéfice est effectué, et que la somme que nous avons indiquée doit être accrue notablement. Il est donc évident que le bénéfice est énorme relativement au capital engagé.
On avance cependant que tous les bouchers de Paris sont loin d’être riches. Cela est possible, mais cela ne tient pas à ce que le commerce de la boucherie ne surtaxe pas assez la viande qu'il débite. Cela ne tient pas à ce que le prix du producteur n’est pas suffisamment augmenté. Cela tient à ce que les bouchers n’achètent pas de première main. Sur les 500 bouchers de Paris, 180 seulement font des achats à Poissy et à Sceaux: ils achètent les bœufs sur pied, et les revendent à la cheville aux détailleurs, en gardant la plus grosse part des béné- fices : ce n’est pas là une hypothèse , les comptes de la caisse de Poissy témoignent de ce fait, et l’on signale maintenant au préfet de police les marchands qui font le commerce en gros.
Voilà comment il se peut faire que ceux qui tiennent un étal n’ont qu'un bénéfice modéré , tandis que les spéculateurs s’enri- chissent. Le dernier vendeur ne fait guère de profit; mais le consommateur n’en paie pas la viande moins cher.
Le commerce de la boucherie propose un singulier remède à cet état de choses, il propose de diminuer le nombre des étals il dit :{ Si le nombre en était réduit à 370, comme sous l'empire du décret de 1811, les frais deviendraient relativement beaucoup
moins élevés, conséquemment on pourrait établir la viande à plus bas prix sans que celui qui la débite eût un moindre béné- fice.
Mais il faut faire attention que le prix de la viande n’est pas déterminé par le bénéfice que doit faire le boucher, c'est le bénéfice qui est déterminé par la plus ou moins grande facilité de la vente : Si les bouchers sont assez peu nombreux pour qu’ils puissent s'entendre et maitriser le consommateur, s'ils trouvent dans l’organisation de la caisse de Poissy le moyen de maintenir les prix , la réduction du nombre, bien qu’elle fasse diminuer les frais, rendra le monopole plus redoutable et la cherté plus grande ; le remède qu’on propose, loin de diminuer le mal , l’augmentera.
Qu’arrivera-t-il alors ? c’est que le bénéfice considérable de chaque étal étant certain, on vendra chaque étal à un prix plus ou moins élevé ; le propriétaire exigera le capital représentant la portion d'intérêt qui dépasse le bénéfice ordinaire de chaque genre de commerce; comme le propriétaire d’une terre qui rapporte plus que les frais de main-d'œuvre, d'engrais, de semences et d’impositions, vend sa terre une somme plus ou moins élevée, ou exige une rente annuelle, représentant l'excès de production. Il en sera exactement ainsi pour les titres de bouchers, ils seront d'autant plus chèrement vendus qu’ils seront plus limités.
On dit qu’on pourra accorder à l'autorité municipale la fa- culté de concéder, à titre gratuit, et à qui elle voudrait les places de boucher; mais l’autorité municipale ne pourrait manquer d’être circonvenue , et elle accorderait toujours la place à celui en faveur duquel le titulaire donnerait exclusive- ment sa démission. Et d’ailleurs, qu'importerait-il que la place fût donnée pour rien ou qu’elle fût vendue pour une somme plus ou moins grande ? Le bénéfice considérable n’est pas fait, parce qu'on a payé la place; mais la place est payée, parce
(73) qu’il y a un bénéfice considérable assuré. Si le nouveau titu- tulaire obtient la place gratuitement , il sera tout aussi bien en position de faire le bénéfice que s’il avait déboursé un capital considérable , ce sera lui qui gagnera au lieu de l’ancien titu- laire , maïs le consommateur ne paiera pas la viande un cen- time moins cher.
Le corollaire nécessaire de la limitation du nombre des bou- chers , c’est la taxation de la viande. Je concçois fort bien qu’on dise : vous serez en petit nombre, afin que les frais soient ré- partis sur un grand débit, et afin que les bénéfices faits sur chaque quantité vendue, soient minimes, mais qu’ils soient multipliés, et conséquemment suffisants. Mais aussitôt, il faut dire : vous ne profiterez pas de votre petit nombre pour qu’une coalition entre vous soit possible, inévitable, invincible; vous vendrez au prix qui sera fixé par l’administration qui a cal- culé vos prix d'achats et vos bénéfices nécessaires. Il est évident qu’il faut absolument taxer la viande, dès l’instant qu’on fait une corporation limitée de bouchers. Or, est-il possible de re- tourner au régime des taxes ? Cela ne nous paraît pas probable. Mais toujours est-il certain que si on ne veut pas admettre la taxation, on doit repousser une organisalion dont elle serait l’in- dispensable correctif. Nous le confessons, nous avons peine à croire que les bouchers demandent que leur nombre soit réduit, pour que la masse d’affaires faites par chacun soit plus forte, mais le bénéfice plus petit, de manière qu'ils puissent avoir l'unique avantage de livrer la viande à meilleur marché aux consommateurs.
Si donc on ne peut obtenir une organisation complète de la boucherie, avec limitation des étaux, réglement des marchés , taxation de la viande; si l’on ne peut avoir un monopole com- plètement régularisé, il faut la liberté complète ; il ne faut pas prendre au monopole ses inconvénients, en négligeant les règles qui les atténuent ; il faut que le commerce soit parfaitement libre.
(74) Il faut que chacun puisse acheter et vendre comme il l'entend ; il faut surtout que le producteur qui amène ses bestiaux sur le marché puisse les faire abattre et débiter pour son compte; car sans cette faculté, il est à la merci du commerce de la boucherie. En effet, celui qui a fait parcourir de grandes distances aux animaux qu'il amène pour approvisionner la capitale, et qui doit les nourrir jusqu’à la vente, n’est pas libre d'attendre; il faut qu'il se débar- rasse d’une marchandise qui chaque jour lui est plus onéreuse ; onéreuse par la consommation qu’elle fait, onéreuse par la perte de poids qu’elle subit. 1 faut qu’il vende , quel que soit le prix offert par le boucher, s’il ne peut faire débiter lui-même sa marchandise. C’est là un abus qui nécessairement tourne au dé- triment du consommateur, puisqu'il remet entre les mains de quelques personnes, affiliées à la corporation de la boucherie , l'approvisionnement de la capitale.
PERFECTIONNEMENT DE LA PRODUCTION AGRICOLE.
On peut obtenir un abaissement du prix de la viande par l’abaissement des droits, surtout de ceux qui sont perçus à l'en- trée des villes, par le changement du mode de perception et par le changement de l'organisation de la boucherie ; mais c'est en vain qu’on compterait sur ces moyens pour arriver à donner à nos populations toute la quantité de viande que réclame leur bien-être. Ce n’est qu’en changeant l’état de notre agriculture qu’on peut nous donner une viande abondante et à bon mar- ché : par ce procédé vous améliorerez le sort de tous les tra- vailleurs , sans imposer de sacrifices à qui que ce soit ; ce sera profit pour toute la France.
Le climat de notre pays, par ses excès de sècheresse ou de froid, est peu propre à la nourriture des bestiaux ; la division
(75) des propriétés et le besoin de nourrir une population pressée , vient ajouter à la difficulté d'entretenir les grands animaux ; c’est donc seulement par de sages combinaisons qu’on pourra les faire prospérer.
Améliorer les pâturages ;
Améliorer l’assolement de terres arables ;
Améliorer la situation des industries agricoles :
Tels sont les moyens qui peuvent nous permettre de multi- plier les animaux qui servent à la nourriture de l’homme.
Il n'entre nullement dans notre plan d'indiquer comment on arriverait à rendre nos pâturages plus productifs par les irriga- tions ou les assèchemens, par les engrais ou le choix des plantes fourragères qu’il faut y entretenir. De savants agronomes n’ont rien laissé à désirer sur ce point.
Nous ne nous occuperons pas non plus des moyens de hâter la propagation des méthodes d’assolement qui multiplient les plantes fourragères dans une proportion considérable , tout en augmentant la production des céréales. Nous n’avons pas à dire comment on substituerait les prairies artificielles aux jachères, qui rendent encore improductive une si notable partie des 25,000,000 d'hectares que la France livre à la charrue. Tout le monde sait que ces prairies ne sont établies que pour et par les bestiaux, qui en mangent les récoltes, et qui fournissent lesjen- grais nécessaires à leur établissement. Pour obtenir cette cul- ture , il faut favoriser la propagation des troupeaux, elle don- nera ensuite la viande en abondance. Toutes ces vérités sont désormais vulgaires dans les écrits, si elles ne sont pas com- munes en application.
Nous ne nous arrêterons un instant que sur la nécessité d’amé- liorer nos industries agricoles.
Les terres en France sont d’un prix si élevé, et les besoins de la population si grands, que la culture @es plantes exclusive- ment consacrées à l'alimentation des bestiaux, donne générale-
(76 )
ment trop peu de produits pous payer les frais de culture; pour en couvrir toutes les dépenses, il faut préalablement extraire des végétaux, un principe directement applicable à l’homme. Par ce moyen on créerait beaucoup de nourritures à bon marché; on les créerait près des villes où l'industrie se développe aisément, et où la consommation de la viande est si nécessaire; on évi- terait ainsi pour elles les frais de transport qui augmentent si fortement le prix d’une denrée indispensable.
Par ce moyen, on ne tuerait plus 170,000 bœufs maigres sur 483,000 qui sont abattus.
‘ Nos bœufs ne pèseraient plus en moyenne 315 kil., mais bien 400 kil., comme les bœufs anglais.
La France, plus qu'aucun autre pays, peut-être, a besoin qu’on protége les industries qui unissent leurs efforts à ceux de l’agriculture, et peuvent livrer d’abondantes nourritures au bétail. Elle doit, par des créations nouvelles, atténuer les effets de certaines cultures, qui, sous un point de vue, font sa ri- chesse , mais qui font sa pauvreté en animaux propres à la bou- cherie. Par exemple, la culture de la vigne, qui forme l’apa- nage de notre sol, cette culture si belle, si productive , si digne d’encouragements sous quelques rapports, cette culture que l'étranger nous envie, diminue pourtant le nombre de nos bes- tiaux et place la France dans une condition particulière. Non seulement la vigne ne donne aucune substance alimentaire et par suite aucun engrais, mais elle empêche , dans une vaste propor- tion, la fabrication des boissons qui laisseraient dans leurs résidus des substances nutritives. L’Angleterre, la Belgique, l'Allemagne, la Hollande, doivent à la fabrication de la bière et des eaux-de- vie de grains, la faculté de nourrir beaucoup de bêtes à l’étable.
Veut-on savoir quelle quantité de viande produisent les
distilleries de la Belgique ? On verra si elle ne trouve pas là la cause de sa richesse en bestiaux.
A :)
La Belgique possède 1,065 distilleries d’eau-de-vie, qu
produisent 26,000,000 litres de cette liqueur. .. On a calculé que la distillation de chaque litre d’eau-de-vi produit des résidus qui servent à créer 1/2 ou 1/3 de kil. de viande (1). Ce sont 9,000,000 de kil. de viande. La Belgique contenant 4,317,944 habitants, c’est plus de 2 kil. par in- dividu.
En outre , la Belgique possède 2,800 brasseries et 150 fa- briques de malt et drèches. Les brasseries fournissent à chaque habitant 1 hect. 35 1. de bière, c’est-à-dire 5,830,324 hect. pour les 4,317,944 habitants. Chaque hectolitre de bière fournit un hectolitre de drèche moins 1/7 : Les brasseries donnent donc 4,997,420 hect. de drèche. Une vache consomme la valeur d’un
bect. 1/2 de drèche par jour (2), pendant quatre mois d’en- ” graissement : la quantité de drèche fournie peut donc engraisser 21,763 vaches, lesquelles gagnant 90 kil. de viande chacune, donnent 2,498,670 dans ces chiffres ne sont pas comptées les eaux-de-vie et bières exportées, celles qui sont consommés par la fraude , etc.
Ce qui ajoute un avantage à cette production de viande par
(1) Voici le calcul fait dans une distillerie dans laquelle on se rend parfaite- ment compte de toutes les opérations.
En 1840-4x, la distillerie marcha huit mois,
Fabriqua 300 hectolitres d'alcool, soit 30,000 litres.
Elle engraissa , pendant les quatre premiers mois, 50 vaches.
Pendant les qnatre derniers | encore 5o vaches.
Ces vaches donnèrent chacune 270 kil. de viande nette.
Ce qui faisait 27,000 kil. de viande.
Elles avaient augmenté d’un peu plus du tiers, soit 10,000 kil. de viande obtenus, ou 1/3 de kil. par litre.
Les vaches avaient donné en outre 55 kil, de suif chacune, ete.
(2) Elle consomme autre chose que cette substance, mais on réduit tout à cette substance. Il importe peu de savoir si on a fait avec la drèche l’engrais entier d'un animal ou le tiers de trois.
{ 78 ) l’engraissement à l’étable , c'est qu'il s'opère quand la campagne ne peut plus fournir de nourriture au bétail : de sorte que, par ce procédé, on engraisse pendant toute l’année; tandis que si les industries agricoles viennent à manquer, on ne peut en- graisser que pendant six mois; conséquemment alors, la con- sommation n’est plus convenablement satisfaite.
Ce n’est pas tout: si les céréales qui servent à confectionner les eaux-de-vie et la bière, engraissent des animaux qui four- nissent des fumiers , la terre qui les a produites sera, par cela seul’, susceptible d’un riche assolement , dans lequel entrent né- cessairement des prairies artificielles, qui, à leur tour , nour- rissent des animaux qui donnent des engrais, c'est-à-dire encore de la viande et des moyens de créer la viande ; par une heureuse réaction, les distilleries non-seulement servent à créer directemeut des bestiaux , mais rendent infiniment plus facile la rotation des cultures, qui permet la multiplication des animaux ntiles dans la proportion la plus considérable.
Chaque hectolitre d’eau-de-vie nécessite la consommation de deux kilog. de grains, dont 1/4 en orge, 3/4 en seigle.
Chaque hectolitre de bière nécessite la consommation de 0,43 d'orge.
Si les habitants de la France, comme ceux de la Belgique, consommaient chacun 6 litres d’eau-de-vie de grains, et 135 litres de bière, on emploierait, pour la fabrication de ces boissons, savoir ;
Pour la consommation de l’eau-de-vie :
99,000,000 kil. d'orge, ou 1,414,388 hectolitres. 297,000,000 kil. de seigle , ou 4,243,164 hect. Pour la fabrication de la bière, 19,156,500 bect. d'orge.
1 hectare produisant en moyenne 10 hect. de seigle et 14
(79) hect. d'orge, on consommerait, pour ces fabrications , la pro- duction de
424,316 hectares pour le seigle; 1,462,205 hectares pour l'orge ;
En tout, 1,886,521 hectares.
Cette quantité de céréales ne serait pas soustraite à la con- sommalion de l’homme, car les animaux nourris avec les résidus fertiliseraient les champs, et leur feraient atteindre la production des pays dont la culture est perfectionnée. On en- trerait ainsi dans une voie qui permettrait de grandes espé- rances , car l’hectare de terre , en France , produit en moyenne, comme nous venons de le dire, 11,33 de seigle et 14,66 d'orge. Dans le département du Nord, il donne 18',41 de seigle et 31,74 d'orge. On obtiendrait donc un produit presque double , et, de plus, on pourrait avoir un assolement sans ja- chères, un assolement qui donnerait des prairies artificielles et permettrait d'entretenir encore un plus grand nombre d’a- nimaux.
On obtiendrait encore des résultats plus considérables, si, au lieu de grains, on distillait la pomme de terre ; car les résidus seraient plus abondants, et l’introduction de cette racine sarclée serait plus favorable encore à l’assolement.
Malgré les avantages considérables que la France pourrait relirer des industries agricoles, malgré l'immense difficuté de les naturaliser sur notre sol, notre législation a constamment été funeste aux établissements qui devaient fertiliser nos cam- pagnes et accroître le nombre de nos troupeaux.
Il en était de trois sortes qui étaient de nature à prospérer en France; par une fatalité singulière , au lieu de recevoir des encouragements, toutes trois ont eu à souffrir des dispositions législatives; il en est une pour laquelle, sans doute , le temps
80 ) des réclamations n'est pas venu; il en est deux autres pour lesquelles on ne saurait trop se hâter de réclamer.
En 1837, pour la seule commodité des agents du fisc, et pour se mettre à l'abri de fraudes que l’exercice pouvait réprimer, on porta un coup terrible aux distilleries : on exigea, par un article de la loi des finances, qui passa inaperçu, que les dis- tillateurs d’eau-de-vie de pommes de terre fissent déclaration des quantités de matières employées dans leur fabrication et de la quantité d'alcool qui doit en provenir. On fixa un minimum pour les matières et pour l'alcool obtenu, et, chose inouie, on assimila sous ces deux rapports la distillation des pommes de terre à celle des grains ; onvoulut que , malgré leur nature et les exigences de fabrications diverses, toutes les substances farineuses fussent mises en même quantité dans les euves, et qu’une même quantité d’alcool füt retirée de substances hété- rogênes. Il fut déclaré que les matières devraient être les 6/7 des cuves, et que la quantité d’alcool retiré serait de 2 litres 1/2 par hectolitre de matière macérée.
C'était impossible,
Les farines de pommes de terre, ayant une fermeniation plus tumultueuse que celle des grains, exigent que les cuves aient une plus grande marge.
Les farines de pommes de terre, étant moins riches en alcool, ne peuvent fournir la quantité exigée des farines de céréales.
Les lois chimiques étaient en opposition avec la loi fiscale, on ne tint compte des lois de la chimie; on voulait percevoir le plus possible et le plus facilement possible, on détruisit une industrie importante.
Maintenant, aux réclamations qui lui sont adressées, l’ad- ministration répond : à la vérité, les fabriques ont inter- rompu leurs travaux ; mais toutes ne sont point fermées ; il en est qui continuent leurs opérations, et qui obtiennent le mini- mum fixé ; toutes, par conséquent, peuvent l'obtenir et doivent
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se soumettre à la règle. Mais ce que l'adininistration ne dit pas, c’est que les fabriques qui subsistent encore n'ont pu travailler qu’en introduisant une beaucoup plus grande quantité de farine de grains dans leur pâte de pommes de terre , et qu'ainsi on a changé tout-à-fait le caractère de la fabrication. On voulait cultiver une racine, qui exige des sarclages et alterne bien avec les céréales ; on voulait des résidus très-abondants pour nourrir de nombreux bestiaux qui doivent fournir l’engrais à l’assolement , sans jachère ; au lieu de cela, on ne peut plus distiller en grande partie que les graines de céréales qui ne permettaient plus la rotation alterne; on obtient des résidus moins abondants et on ne peut plus engraisser le nombre d'animaux nécessaires à l'amélioration et à l'entretien d'une culture perfectionnée.
Ainsi, l’une des industries agricoles qui favorisaient, au plus haut degré, l'élève et l’engrais des bestiaux, au lieu d'obtenir protection et encouragement, n’a rencontré qu'obstacles et ruine.
Les sucreries concouraient puissamment aussi à l'entretien des bestiaux; elles ont été frappées : il est facile de juger quelle pouvait être leur action sur la production de la viande.
Une fabrique ordinaire produisant 200,000 kil. de sucre peut engraisser 3,000 moutons pesant 25 à 30 kil., ou 200 bœufs pesant en moyenne 325 kil., ou 425 vaches pesant à 250 kil. On peut admettre comme règle générale que la production de 3 kil. de sucre permet de produire 1 kil. de viande. Les habi- tants de la France consomment 4 kil. de sucre. La fabrication de cette denrée leur donnerait donc 1 kil. 1/3 de viande par tête, ou 44 millions de kilogrammes de viande.
D’après ces faits, on peut apprécier l'influence qu'a eue sur la création de la viande le coup porté à l’industrie sucrière : elle produisait à peu près de 50 à 60 millions de kil. de sucre, on l’a réduite à moitié; partant 30 millions de kil. de sucre de
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( 82
moins, 40 millions de kil. de viande de moins, ce qui équivaut à 400,000 moutons de 25 kil., nombre égal à celui qui est néces- saire à la consommation de Paris, qui exige 32 à 34,000 moutons par mois, ou 384,000 à 400,000 par an , ce qui équivaut encore à 30 à 33,000 bœufs de 300 à 325 kil., c'est-à-dire à peu près la moifié de la consommation de Paris, qui absorbe 70 à 72,000 bœufs. La perte de la totalité de ces fabriques , dont l'avenir est maintenant si incertain, causerait une perte de 20 millions de kil. de viande , c’est-à-dire la nourriture en viande de toute espèce de 425,900 individus consommant 47 kil. par tête, c'est-à-dire ce qui est nécessaire à la moitié de la population de Paris. Voila ce que peut produire une seule industrie qu’on a presque ruinée.
Le moment n'est pas venu de changer la position qu’on a faite à nos fabriques de sucre ; nous passons à une industrie: dont il sera plus facile d'écouter la plainte; celle dont nous voulons parler se distingue parmi les industries qui fournissent des malières alimentaires aux troupeaux, et mérite une mention toute spéciale : c’est la fabrication de Fhuile. La culture des graines oléagineuses alterne fort bien avec celle des céréales , et les fabriques qui expriment l'huile des graines fournissent comme résidu le tourteau , l’une des nourritures les plus sub- stancielles qu’on puisse donner aux herbivores.
Il est facile d'apprécier l'influence que la culture des graines oléagineuses peut avoir sur la nourriture des bestiaux. Les trois parties de la France, dont la statistique agricole est publiée, cultivent 168,106 hectares en colza et 71,537 en lin. Nous ne compterons pas les autres graines-oléagineuses, telles que pavot, cameline, chanvre, etc. L'hectare de colza rapporte en moyenne 12/,29 de graines (le Nord rapporte 19",34 }; donc, la culture du colza donne 1,966,022 hectolitres de graines; chaque hectolitre pèse 66 kil.; 3 hect. 1/2, ou 4 hectolitres de graines de colza donnent 4 hectolitre d'huile pesant 90 kil. et 130 kil. de tourteaux; le reste du poids est enlevé par l'éva-
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( 85 poralion. Chaque kectolitre de graines représente donc 37 kil. de lourteaux.
Conséquemment, la culture du colza donne 72,742,814 kil, de tourteaux; 4 à 5 kil. de tourteaux forme la moitié de la nourri- ture journalière d’une vache à l'engrais. Le lin donne par hect. 8,12 de graines; mais la graine de lin donne proportionnelle- ment moins d’huile:elle donne les 2/3 de son poids de tourteaux.
Il est donc nécessaire de favoriser la culture du colza, du pavot, du lin, de la cameline, etc., ete. Aussi la loi de douanes a voulu accorder une protection aux graines, dont on tire les diverses huiles végétales. Un droit de 3 fr. 50 cent. est imposé aux graines venant de létranger. Cependant une singulière méprise a été commise relativemeut à la graine de lin. L’agri- culture avait demandé de réduire à 4 fr. le droit imposé à la graine de lin-venant de Riga et importée pour semence. Nos cultivateurs ont, eneffet, remarqué qu'ils obtenaient des pro- duits infiniment supérieurs, lorsqu'ils semaïent des graines de Russie et ils ont admis la nécessité de recourir, au moins tous les deux ans, au renouvellement de leurs semences. L'intérêt par- üculier et l'intérêt public étaient trop engagés dans la question, la récolte des beaux lins était trop importante, pour que la de- mande des cultivateurs ne fût point accueillie; mais on fit plus qu'ils ne demandaient : on réduisit à 4 fr. le droit payé pour toutes les graines de lin quelles qu’elles fussent.
Qu'arriva-t-il ? l’abaissement du droit sur les graines de lin augmenta énormément l'importation des graines oléagineuses. En 1825, elle était de 3,090,000 d'hectolitres; elle s’est élevée, en 1539, à près de 28,000,000.
D'un autre côté, l'exportation des tourteaux s’est accrue considérablement , et les prix se sont continuellement élevés. En 1825, les 100 kil. de tourteaux de colza se vendaient de 11 fr. 50 cent. à 12 fr. 65 cent. ; en 1841 ils se vendent de 15 à 16 fr. 50 ; les tourteaux de lin, les plus propres à la nourriture
(84)
des bestiaux, ont valu jusqu'à 22 fr. L'agriculture reçoit un double dommage de cette exportation d’une substance qui sert à nourrir les bestiaux et à engraisser les terres propres à cer- taines cultures.
Les agriculteurs, pour porter remède à cet état de choses , ont demandé le rétablissement du droit à l'exportation des tourteaux , comme il existe en Belgique. On ne manquera pas de dire, pour repousser leurs prétentions, que les tourteaux exportés sont formés par les graines étrangères, dont on exprime l'huile en France; que cette huile est exportée en même temps que les tourteaux à l’état de pureté ou transformée en savon ; que si l’on vient à placer un droit à 12 sortie des tourteaux, on mettra les fabriques étrangères dans une situation plus favo- rable que les nôtres; que la fabrication des huiles extraites des graines étrangères se transportera ou en Belgique ou en Angle- terre; qu’on détruira ainsi en France une fabrication impor- tante et un commerce considérable , sans que nos agriculteurs aient plus de tourteaux, puisque l'importation des graines étrangères et les usines occupées à tordre l'huile auront cessé d'exister.
On doit convenir que ce raisonnement a quelque apparence de vérité : car il est à remarquer que l'exportation des tour- leaux est augmentée, à-peu-près, comme l'importation des graines oléagineuses.
En 1825, on exportait 10,000,000 kil. de tourteaux.
En 1839, 25,000,000
Différence... ......... 15,000,000 En 1825, on importait 3,000,000 de graines oléagin. En 1840, 26 à 28,000,000
Différence. . ...... 23 à 25,000,000
Cette quantité donnant plus de moitié de son poids de tour-
{ 85 )
teaux , il en résulte que ce sont les graines étrangères qui ont fourni, presqu’en totalité , l’excédant d'exportation.
Mais pour que le raisonnement qu’on a fait fût juste, il faudrait que l'huile provenant de ces graines eût été exportée en nature ou sous forme de savon et en même temps que les tourteaux ; or, l'exportation des huiles et des savons ne s'est pas accrue depuis l'augmentation d'importation des graines étrangères. Nos agriculteurs ont donc droit de se plaindre : les graines importées font concurrence à celles qu'ils produisent, par l'huile qu'ils laissent sur nos marchés, et elles ne concou- rent en rien aux perfectionnements de l’agriculture , les tour- teaux étant exportés. Peut-être, cependant, ce n’est pas seu- lement un droit sur les tourteaux qu'il faudrait demander.
Les agriculteurs français auraient à réclamer contre l’abais- sement des droits accordés aux graines de lin, sauf celles de Riga qui servent aux semis, et qu’on ne peut confondre , parce qu’elles arrivent en barils. Le rétablissement du droit protégerait la culture des graines oléagineuses et en même temps aurait plus d'influence sur l'exportation des tourteaux qu’un droit spécial qu’on établirait à la sortie.
Nous nous arrêterons : ce que nous avons dit suffit pour faire voir combien il serait utile de favoriser nos industries agricoles ; combien elles sont indispensables à la multiplication des bes- taux; combien la France est inférieure à certaines contrées pour la création de fabriques qui font descendre le génie des arts dans les grandes fermes et produisent sur le sol même ce qui féconde le sol.
M. le ministre du commerce a reconnu lui-même, cette année , à la tribune de la chambre des pairs, « que pour avoir plus de bestiaux sur une étendue de terre donnée, {a première condition serait que l’agriculture passât à l’état industriel. » Pourquoi les actes du gouvernement ont-ils été si contraires à cette saine doctrine ? Nos sucreries, nos distilleries, nos huile-
(86)
ries, tendaient à créer en abondance des nourritures pour les bestaux , et ces trois genres de fabriques ont reçu à-la-fois de funestes atteintes.
Quant à nous, nous établissons en principe que c’est dans la perfection de l’agriculture , dans la formation des prairies arti- ficielles et la création des fabriques agricoles que réside le moyen vraiment efficace de multiplier les troupeaux et de faire baisser, d’une manière notable , le prix de la viande. On obtien- dra des avantages qui ne sont pas à dédaigner, en faisant dis- paraitre les abus qui se remarquent dans l'organisation des bou- cheries des grandes villes; on en obtiendra encore en chan- geant le mode de perception des droits de douane et surtout de droits d’octroi; on en obtiendra encore en abaissant, autant que possible, les droits d'octroi; mais l’abaissement du tarif äes douanes, ou ne procurerait qu'un abaissement de prix insi- gnifiant, ou ne donnerait la viande à bon marché qu’en portant une atteinte funeste à la production agricole , dont nous devons attendre la production la plus sûre et la plus abondante.
Il y a donc lieu de favoriser les industries agricoles et les perfectionnements de l’agriculture, de modifier l’organisation de la boucherie des grandes villes, de changer le mode de perception des droits de douanes et d'octroi, d’abaisser le droit d'octroi, si cela est possible; il n’y a pas lieu, quant à présent , de changer le chiffre du droit des douanes.
DES BESTIAUX.
( 88 ) Importations des Bestiaux
BOEUFS ET TAUREAUX.
Quantités. Valeurs.
2,957 | 1,040,970 26,047 | 5,469,870 18.118 | 3,804,780 16,245 | 3.411,450 16,824 | 3,533,040 15,254 | 3,203,340 27137 | 5,698,770 17,590 | 3.693.900
8,948 | 1,818,280 11,520 | 2,345,480 13,863 | 2.836,960 15,415 | 3.168.160
T'AUREAUX ,; BOUVILLONS
PE ET TAURILILONS.
Quantités. Valeurs. Quantités.
14,358 | 2,871,600 | 3,792 568,800 14,746 | 2,949,200 | 5,741 637,015 14,125 | 2.825.000 | 5,307 868,455 13,489 | 2,697,800 | 4.441 731,940 7,455 | 1,491,000 | 4,001 772,640 6,599 | 1.319.800 | 3,276 602,665 7.498 | 1:499,600 | 2,952 601,555 6,686 | 1,337,200 | 2,513 511,770 5,018 | 1,003,600 | 2,535 531,840 5,966 | 1.193.200 | 3,263 628,770
BOUVILLONS
HRPREETRe ET TAURILLONS.
CR. CE
Quantités. Valeurs. Quantités. Valeurs. Quantités. Valeurs.
839,400 | 2,338 561,120 49,660 2,738 657,120 45,175 2.675 | 642,000 c 63.570
| | | |
( 89)
— Commerce spécial.
VACHES, GÉNISSES, BOUVILLONS,
TOTAUX. TAURILLONS ET VEAUX.
EE © | Quantités, Valeurs. Quantité . Valeurs. ton BTE TA 3,704 291.040 8,661 1,332.010 | CTP HONTE BAT Des 54,993 5,141,337 81,040 10,611,307 | ccibocate d'Éc A Tb bn 45,430 4,080,884 63,548 7,885,664 Snteisleta tele etctetel etes 42,150 3,639,792 58,395 | 7.051.242 msn pole ieiele slcieriete 31,150 2,389,354 47,964 | 5,922,394 Bothévomed one 0 00 28,012 2,203,517 43,260 | 5,406,857 TPS TO LEA Go 37,094 3,078,505 64,231 8,777,275 terre cest 27,485 2,313,080 54,622 6,066,980 DNA oO eee n 200 19,862 1,746,270 28,810 3,965.050 Dot oo Ho 0B TNE 34,833 3,042,710 46,353 5,388,090 2 EE MANS 41,052 3,545,009 | 54,915 | 6,382,869 LÉ LD NN NRA 37,600 3,092,577 | 53,015 | 3,260,737 il VACHES. GÉNISSES. VEAUX.
Re. CO OR Quantités. Valeurs, Quantités. | Valeurs. | Quautités. | Valeurs.
21,958 | 2,415,380 | 2,333 | 58,325 | 12,508 | 437,780 | 54,949 | 6,351,885 20,467 | 3,241,370 | 4,123 |103,075| 15,516 | 543,060 | 66,593 | 7,773,720 | 26,825 | 2,950,750 | 3,564 | 89,100! 16,265 | 569,275! 66,176 | 7,302,580 19,375 | 2,131,250 | 2,848 | 71,200! 13,331 | 466,585 | 53,484 | 6.098.775 | 4,202,560
8,610 | 947,100 | 1,269 | 31,725] 9,914 | 346,990 | 29,668 | 3,248,280 6,970 | 766,700 968 | 24,200| 9,703 | 339,605| 28,091 | 3,231.660
| 9,069 | 997,590 | 1,092 | 27,300| 9,231 | 323,085 | 28,591 | 3.196.945 11,694 | 1,286,340 | 1,059 | 26,475] 9,691 | 339,185 | 29,907 | 3,187,440 11,621 | 1,278,310 | 1,206 | 30,150 | 10,292 | 360,220 | 32,348 | 3,490,650 |
13,801 | 1,518,110 | 1,582 Ë 11,036 | 386.260 | 37,875 |
13,291 | 1,454,310 986 | 24,650! 8,358 | 292,530 | 29,864 15,782 | 1,736,020 1,184 | 29,600 | 10,580 | 370,300 | 36,457 17,034 | 1,873,740 1,576 | 39,400 | 12,004 | 420,140! 41,641
3,221,670 3,793,815 4,513,650
( 90 ) Exportations des Bestiaux.
a ———————_—_—————————
VACHES , GÉNISSES,
BOEUFS ET TAUREAUX. bouvillons , | ANNÉES. taurillons et veaux. RS | Quantités. Valeurs. |Quantités. Valeurs. | 1815. | 4,588 | 963,480] 6,377 | 519,370|........... Re RS | | 1816. 7,914 | 1,661,940| 7,999 | 784,960[.............. SONT TÉ SOU MCENRRRES 1817. 7,804 | 1,638,840| 8,613 | 828,433|........... TE PRE 6... 200 1818. 6,347 | 1,332,870| 6,471 | G60,923|......... AE LORS. | °4849/N0) 1 6208") 1:302,030! 7 6.778 || 6082061. --2........... SENTE 0 | 1820. 6,116 | 1,284,360| 7,061 | 650,202|........... OR dre PAe | 1821. 3,106 | 778,960! 5,448 | 459,195]................ AN ee | 1822. 3,907 | 820,670! 5,675 | 533,754|....... SCT CRE ee AE À 1823. | 15,136 | 3,057,440| 10,268 | 1,036,340|.... ...... FE Ne M RATE . 1824. 8,808 | 1,763,560! 6,013 | 565.390|............. PERSON" LE 1825. 0:06087135810,520| 10,298 7500201 md. N arr nene nes cotooccee se ed 1826. | 10,138 | 2,040,200| 5,931 | 564.105|................. REPÈRE CREER | BOŒUFS. TAUREAUX. BOUVILIHONS. VACHES.
et taurillons,
GS ER RS CR
Quantités.| Valeurs. | Quantités.| Valeurs. JQuautités-| Valeurs. | Quantüés. | Valeurs. 1827. | 9,330 | 1,866,000| 303 45,450] 303 | 45,450! 4,026 | 508,860} 1828. 6,338 | 1,265,600| 264 63,360| 605 | 39,325| 2,669 | 293,590 1829. 4102 | 820,400] 59 14160] 330 | 21,450! 1,383 | 152.1304 1830. 5,171 | 1,034.200| 113 27,120| 548 | 35,620 793 | 87,230! 1831. 5,203 | 1,040,600! 215 51,600] 291 | 18,915] 1,113 | 122,430 | 1832, 4,551 910,200 58 13,920| 132 8,580| 1,545 | 169,950 1833. 5,494 | 1,098,800! 166 39,840| 280 | 18.200] 2,360 | 259,600 1834. 6,069 | 1,213,800| 153 36,720| 267 | 17,355] 2,477 | 272.470, 1835. 5,191 | 1,158,200| 162 38.880| 268 | 17.420| 1,829 | 201.190 1836. | 10,411 | 2,082,200| 145 34,800| 228 | 14,820| 8,856 | 974,160 1837. 9,000 | 1,800,000! 294 70,560] 274 | 17,810| 8,825 | 970,7501 1838. 7,207 |1,441,400| 231 55,440| 250 | 16.250| 5,652 | 621,720
1839. | 6,470 | 1,294.000! 172 41,280 208 13,520! 3,980 | 437,800!
(M1 ) . Commerce spécial.
EXCÉDANT FXCÉDANT TOTAUX. de l'importation sur de l'exportation sur | l'exportation. l'importation.
nn 2 | A |
Quantités. | Valeurs. [Quantités.f Valeurs. Quantit.| Valeurs. |f
10,965| 1,482,850 2,304/150,840 à 17.913| 2,446,900 8,164,407 16,417| 2,466,913 5,418,751 12,818| 1,993,793 5,057,449 12,981| 1,905,836 4,016,558 13,177| 1,934,562 3,472,205 0,154| 1,237,451 1,539,824 0,582| 1,354.,224| 45,040] 4,712,756 25,404| 4,093,780| 3,406 528,730 14,821| 2,328,050| 31,532! 3,059,140 | 15,295! 2,382,585| 39,620| 4,000,284 16,069! 2,604,305| 36,946| 656,432
GÉNISSES. VEAUX.
,
ntités.| Valeurs. | Quantit.| Valeurs.
1,675 34,755| 15,622| 2.502.190 | 39,327] 3.849,605 1,075 27,405| 10,702| 1,690,355| 55,891| 6,083,365 925 19,425! 6,466! 1,028,490| 59,710! 6,274,090
2,650 19,530| 7,295) 1,206.350| 46,189] 4,892,425 1.975 655! 22,925) 7,556! 1,258,445 | 30,319] 2,944,115 3,575 128! 25,480| 7,157| 1,131,705| 22,511] 2,116,575 8,025 | 1,156! 40,460! 9,779! 1,464,925| 18,312] 1,766,735 2,600 | 1,133) 39,655! 10,203| 1,582,600! 18,388] 1,614,345 3,375 946! 33,110! 9,131| 1,452,175 | 20,866! 1,735,265 2,750 | 1,113| 38,955| 20,863| 3,147,685| 11,485] 342,965 4,625 | 1,232] 43,120| 19,810] 2,006,865| 10,054] 315,815 4,500 | 1,445| 50,575| 14,965| 2,180,885| 21,402] 1,603,930 3,300 | 2.027| 70,945| 12 1,860,845| 28,652] 2,652,805 Î
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PAIE
(93 )
EXPÉRIENCES AGRONOMIQUES ,
Par M. TarriN-PEuvion, Membre associé Agriculteur.
Colza semé en lignes.
L'année dernière, j'ai signalé, et votre commission a vu un colza semé en lignes, le 11 septembre, et qui, au mois de juin, promettait une récolte très-belle et d’autant plus remar- quable que les colzas étaient généralement manqués. Le produit a dépassé mes espérances. Sur 487 verges (42 ares 25 cent.), j'ai obtenu 18 hect. 57 litres (quantité vendue) de graine. C'est un produit qui, au dire des cultivateurs de la commune , est extraordinaire.
J'ai eu l'intention de recommencer le même essai pour la récolte 1841 ; mais diverses circonstances m'ont empêché de semer avant le 1." octobre. C'était trop tard; et d’ailleurs le froid et les pluies, qui ont régné à cette époque, ont retardé encore la levée. Aussi le plant trop chétif n’a pu résister à la rigueur de l'hiver; pas plus que les colzas repiqués à la mé- thôde ordinaire. “
Ce n’est donc encore qu’à titre d'essai que j'engage à faire de nouveau l’expérience d'un procédé qui rendrait la culture du colza moins coûteuse, et surtout moins ruineuse dans les années où il vient à être gelé, puisque dans ce cas le cultiva- teur, qui s’est contenté avant l'hiver de semer , ne perd presque
7
(%) rien, (andis qu'un champ de colza repiqué a déjà coûté beau- coup, quand la gelée vient le détruire. Il est bien entendu que le colza semé en lignes doit être éclairci, sarclé, ruoté et biné. Mais toutes ces opérations, sur- tout les deux dernières, peuvent n'être faites qu'après l'hiver.
Semis en lignes.
Convaincu par ma propre expérience de l’excellence des se- mis en lignes , j'emploie cette méthode pour toutes les graines. Je me sers du semoir Hugues, dont le seul défaut , je pense, est son haut prix; car il fonctionne bien et sème très-régu- lièrement , toutes les fois que la graine a été soigneasement
nettoyée.
Culture du Madia sativa.
J'ai semé le 13 mars 60 ares de Madia. — 2% mai 45 — _ 25 14. 45 — — 5 juin 53 —
Ces semis à diverses époques, s'ils réussissent, pourront constater que le Madia serait réellement une grande ressource pour remplacer au printemps tous les semis manqués.
Si le produit en graine et en huile vient confirmer les espé- rances que cette nouvelle plante a fait concevoir l’année der- nière , il restera à la Société une belle tâche à remplir; celle de rechercher et de faire nnaître les qualités de l'huile, et tous les emplois auxquels elle est applicable.
Culture du Mürier blanc.
J'ai de nouveau augmenté ma plantation de mûriers. Outre
(9%) mes jeunes sauvageons , qui se comptent par milliers, j'ai main- tenant une centaine de Müriers à haute tige.
Je dois convenir qu'en général ces müriers ne prospèrent pas rapidement; mais aussi je crois que le fonds que j'ai consa- cré à cette culture, ne lui convient pas assez. Il est trop argi- leux, trop froid et peu profond; il n’est d’ailleurs aucunement abrité, et comme la chaleur est nécessaire au mûrier, il est bon de lui destiner une terre noire, exposée au midi, et abritée du nord. Avec ces conditions, j'ai confiance, à en juger par quelques arbres bien placés, que la culture du mürier peut réussir dans notre climat. Je dois même ajouter que ma non- réussite ne devrait pas décourager , parce qu'il est notoire que le sol de Lesquin n'est point avantageux pour la culture des arbres. C’est pourquoi si mes müriers, après s'être accoutumés à mon terrain, tout ingrat qu'il est, finissaient par bien produire, il deviendrait certain que notre département peut adopter cette culture. C’est dans cette vue que je préfère ne pas déplanter mes müriers , sauf à en planter de nouveaux dans un meilleur terrain.
Education des vers à soie nourris de feuilles de mürier.
C'est du 10 au 15 juin qu'il convient, je pense, de faire éclore les vers à soie, si l’on veut avoir des feuilles parvenues à leur grandeur, au moment de la grande consommation. Mais j'ai été forcé de commencer mon éducation plus tôt. Les grandes chaleurs qui ont régné du 22 au 29 mai, ont pénétré dans la cave où je conservais mes œufs, ei une éclosion spontanée (par 10 degrés Réaumur), l’a fait commencer le 30 mai. Les œufs étaient encore attachés à la toile sur laquelle ils avaient été pon- dus. C'est ce qui m'a empêché de savoir le poids de ma graine, et par suite la quantité approximative des vers que je nour- rissais.
(96)
Ces vers, mis dans une place où la température a été cons- tamment maintenue entre 16 et 20 degrés Réaumur , ont mar- ché d’une manière satisfaisante. J'aurais pu les nourrir exclu- sivement avec des feuilles de müûrier blanc, sans nuire à ma jeune plantation; mais comme je pensais avoir beaucoup plus de vers que je n’en avais réellement, et que j'ai craint de manquer de nourriture, j'ai eu recours au mürier noir pour environ ua quart de toutes les feuilles consommées ; ce qui a pu influer sur la qualité des cocons.
La montée a eu lieu pour presque tous les vers les 29 et 30 juin, de sorte que l'éducation a été terminée en 32 jours. Cent vers environ sont morts à la montée, et cent ont filé après un retard de quelques jours.
De cette éducation j’ai obtenu 2933 cocons, qui, au moment du déramage et sans distraction des cocons faibles, pesaient 5 kilogrammes 47.
J'ai envoyé ces cocons à M. Robinet, et j'attends qu'il les ait filés , pour faire connaitre leur qualité, d’après leur rendement en soie, et les observations de cet éducateur distingué.
Education de vers à soie nourris de feuilles de scorsonère.
Le 7 mai je reçois quelques œufs de vers milanais; ils éclo- sent le même jour. N'ayant pas de feuilles de mürier à leur donner, ou au moins ne voulant pas sitôt entamer ma provi- sion, je leur donne des feuilles de scorsonère... Je les laisse dans une cuisine peu saine , chaude de jour’, froide de nuit; et néanmoins ils vivent, croissent à merveille, filent et donnent des cocons très-réguliers qui pèsent 1 gramme 51.
À quoi tient donc la réussite des vers nourris de scorsonère ? L'année dernière je n’en ai conservé aucun après la première mue. M. Bachy, notre collègue, qui avait si bien réussi il y a deux ans à en élever une grande quantité, ne réussit pas plus
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cette année-ci que l’année dernière... et l’année dernière quel- ques éducalions sont venues à bonne fin... Il est trop peu raisonnable d'attribuer au hasard seul ces anomalies. Il est bien à désirer que de nouveaux et nombreux essais en fassent dé- couvrir la cause. Et certes, il aurait bien mérité, celui qui rendrait d’une pratique aisée et constante l'éducation des vers à soie, au moyen d’une plante qui vient si facilement dans notre pays.
APPENDICE A LA NOTICE QUI PRÉCÈDE.
Récolte du Madia sativa.
Ce que j'ai à ajouter sur ma récolte en Madia sativa n'est guère propre à vanter la culture de cette plante ; mais je me hâte d'annoncer que mes essais sont peu concluants, et que même je m'’abstiendrais volontiers de faire connaître le résultat d'une expérience mal faite, si ce n’était qu'ayant été honoré d’une médaille pour mes semis de Madia, il est juste que j'ins- truise la Société des produits que j'ai obtenus.
Les 60 ares que j'avais semés le 15 mars ne m'ont rapporté que 14 hectol. 50 litres de graine. Mais il faut dire que je n'avais semé sitôt qu'avec l'intention d’enterrer les plantes vertes pour engrais. Plus tard, j'ai changé d'avis, parce qu’elles étaient trop claires pour cet usage; mais il n’était plus temps pour sarcler convenablement. Ainsi, cette non-réussite peut être attribuée à un semis trop précoce et au défaut de sarclage en temps ulile.
Les deux parties de 45 ares , semées les 24 et 25 mai, n’ont pu être sciées que le 1.er octobre. Les pluies qui tombent pres- que sans interruption, depuis lors jusqu’aujourd’hui, 24 octobre, m'obligent de regarder ces deux récoltes comme entièrement perdues. Presque tous les grains sont tombés, ou germés, ou pourris. Les tiges ne sont plus que du fumier.
(98 )
Je dois dire encore pour l'honneur du Madia sativa, que ces deux parties ont été semées trop tard , et que l’année d’ailleurs est extraordinaire pour l'abondance et la fréquence des pluies. Au reste, l’une des deux parties, en terre fort maigre, ne pro- mettait que peu de grains, et surtout peu de bons grains. Mais, au contraire, l’autre partie en terre fumée annonçait une bonne récolte.
Quant à la partie semée le 5 juin, ayant préjugé qu'elle ne parviendrait pas à bonne fin, je n’ai pas tardé à la labourer.
De cette non-réussite , je suis loin, je le répète, de conclure que la culture du Madia soit à dédaigner ; car je dois convenir que dans les mêmes conditions d’époques, de fumure et de culture, j'aurais probablement manqué en caméline ou toute autre plante , et que même, sauf le désir exprès de mettre le Madia à l'épreuve d'une époque fort avancée, je devais laisser en jachère les trois derniers lots de terre où je l'ai semé si tar- divement.
Le succès que j'ai obtenu l'année dernière me fait croire que d’autres cultivateurs annonceront à la Société des résultats meilleurs el surtout plus concluants.
Quant à l'huile, je ne lai point encore fait extraire.
RÉCOLTE DE COCONS DE VERS A SOIE.
Extrait d'une lettre de M. Robinet, à M. H. Taffin-Peuvion.
« J'ai reçu les cocons que vous m'avez envoyés et les ren- » seignemen{s que vous y avez joints. Les Loudun et les Milanais » sont en trop petite quantité pour étre filés. Ils figureront » dans ma collection, comme produits du département du Nord.
» Quant aux Sinas, je vous déclare que j'ai vu rarement » d’aussi beaux cocons de cette espèce. Comme il m'est facile » de calculer Je produit en soie, je n’en filerai qu'une partie
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» et emporterai le reste à Paris, pour convaincre les incrédules; » j'en vois un grand nombre du midi, qui ne peuvent pas » croire que Paris, et à plus forte raison le Nord, fassent » même de mauvais cocons. Que diront-ils, quand ils verront » vos cocons , qui sont magnifiques ?
DU LES Il y a très-peu de cocons défectueux dans vos Sinas; » on ne peut mieux faire, etc. »
Cette lettre me confirme dans l'opinion que la question de la soie dans le nord de la France dépend uniquement de l’ac- climatation du mürier.
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NOTE SUR LA CULTURE DU POLYGONUM TINCTORIUM.
Par M. Th. Lesriroupoirs, Membre résidant.
SÉANCE pu D NOvEmBRE 1841.
J’ai adressé ce printemps à la section d'agriculture des graines du Polygonum tinctorium, dont or tire, vous le savez, un indigo qu’on a comparé à celui du commerce. Ayant réservé une petite quantité de ces graines, je les fis semer dans le jardin bota- nique. Elles ont été semées en pot, vers la fin de mai; les jeunes plantes ont été repiquées en pleine-terre , dans le mois de juillet, à 25 centimètres de distance. La terre dans laquelle elles ont été placées a été fumée avec le produit des vidanges , et plusieurs fois béchée. Les plantes ont végété avec une grande vigueur.
Lorsqu’elles ont été suffisamment développées, la terre a été ramassée en motte autour de leur collet ; cette disposition me paraît utile, parce qu’il sort des racines nombreuses de tous les nœuds inférieurs.
Le Polygonum tinctorium aujourd’hui (15 octobre) est en pleine floraison depuis huit jours. — Mais je crains que les graines ne puissent arriver à maturité (1) ; les plantes ont été semées trop tardivement; la température de notre été est venue ensuite retarder la végétation. Toujours est-il que les plantes ont été et sont encore en si bel état, que je ne doute pas qu’on ne puisse les cultiver avec une grande facilité dans notre contrée : le Polygonum tinctorium me paraît aussi rustique que ses con- génères qui croissent spontanément dans nos champs.
(x) Ces plantes ont produit des graines qui ont été semées celte année (1842), et ont parfaitement réussi,
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NOTE SUR LA CULTURE DU PEGANUM HARMALA, Par M, Thém. Lestisoupois , Membre résidant.
SÉANCE DU D NOVENBRE 1841.
En 1840 , vous avez recu de M. le ministre de l’agriculture des graines du Peganum Harmala.
Vous étiez engagés à cultiver cette plante; on assurait que de ses graines on pourrait retirer une matière tinctoriale rouge, susceptible de remplacer la cochenille. On n’indiquait pas le procédé employé pour extraire ce principe, dont on tire parti, à ce qu'il paraît, en Orient.
Une partie de ces graines m’a été confiée.
Je les ai fait semer dans le jardin botanique de Lille, vers la fin de juin; elles ont parfaitement bien levé.
Il se trouva que les jeunes plants étaient trop serrés, je les fis entre-cueillir, et par un temps pluvieux je fis repiquer ceux que je venais de faire arracher.
Aucune des plantes repiquées ne végéta; toutes moururent.
Les plantes laissées en place continuèrent à pousser avec assez de vigueur , et supportèrent l'hiver, sans être couvertes.
Mais au printemps leur vie fut Janguissante; leurs feuilles crispées et sans verdeur ; pendant {out l'été , elles languirent et dépérirent , soit parce que cette année fut froide et humide, soit que le sol du jardin ne leur est pas favorable; il leur faudrait une terre légère ; soit surtout parce que notre climat ne con- vient pas à une espèce qui prospère en Syrie, et qui appar- tient à une famille dont tous les individus sont originaires des contrées méridionales.
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Quelques boutons se montrèrent pendant le courant de l'été, mais ils avortèrent tous sans exception (1).
Les plantes vivent encore, mais elles sont dans un état assez triste.
Si l’on peut tirer des conclusions d’une seule expérience, je suis porté à croire que le Peganum Harmala doit être semé sux place et qu’il ne réussit pas lorsqu'on le repique après l'avoir arraché ; qu’il végétera difficilement dans notre climat. Je crois devoir dire que Dumon de Courset , dans le botaniste cultivateur, conseille de semer cette plante en pot et sur couche, et de la repiquer au printemps, dans un sol léger et chaud , en séparant les jeunes plants avec leur terre. Ces précautions, qu’indique un praticien habile , me confirment dans la pensée que le Pega- num réussira difficilement dans le Nord.
(rx) Cet été (1842), la plupart des individus sont en fleur ; leur végétation
est assez prospère,
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NOTE SUR LA MANIÈRE DE FAIRE LA MOISSON.
Par M. Thém. Lesrisoupors, Membre résidant.
SÉANCE pu D NOVENBRE 1841.
La saison que nous venons de traverser a fait penser un instant qu’on se trouverait dans l'impossibilité de faire la mois- son. Les pluies continuelles qui sont venues contrarier les travaux des champs ont fait craindre que nous verrions une partie des désastres de 1816. Les inquiétudes que de pareilles circonstances ont causées , ont ramené les esprits à l'examen des méthodes employées pour sauver les récoltes, lorsqu'on est contrarié par le mauvais temps. Comme beaucoup de per- sonnes, cet examen m'a occupé; je crois utile de communiquer à la société quelques remarques que j'ai été conduit à faire.
Je ne prétends pas indiquer une méthode nouvelle, mais examiner les avantages de celles qui sont en usage, afin de diriger le choix des cultivateurs dans diverses circonstances.
Lorsque les blés sont murs, le moissonneur , dans notre pays, les sape ; au fur et à mesure qu'il les coupe, il les range avec son crochet ou pique.
La quantité de tiges que son crochet peut embrasser forme une javelle ; les javelles restent étendues sur le sol , en lignes parallèles , jusqu’à ce qu’elles soient séchées; puis elles sont réunies ef liées deux à deux pour former une gerbe. Les gerbes
(104 ) sont mises en monts, composés de 26 gerbes à-peu-près ; les
monts sont enlevés par les chariots quand la dessiccation est achevée : voilà la méthode la plus ordinaire.
Dans les années pluvieuses, les cultivateurs soigneux re- couvrent les monts de 4 gerbes renversées, qui sont liées au-dessus des épis des gerbes qu’on veut mettre à l'abri. Cette méthode , qui est excellente et qui peut garantir la récolte des pluis abondantes pendant plusieurs semaines , est actuellement assez généralement en usage dans l'arrondissement de Lille. Elle rend d’éminents services dans nos contrées sur lesquelles se déversent des pluies si fréquentes et si abondantes; elle en peut rendre encore plus dans les contrées de grande culture, où le manque de moyens de transports ne permet pas de mettre la récolte assez promptement à l'abri des intempéries.
Cependant , on ne peut dissimuler qu'elle ne suffit pas aux exigences de toutes les années et de toutes les cultures. Elle exige que les grains soient mûrs, ou à-peu-près , avant d’être sapés ou piquetés, ce qui force à faire la moisson dans un court espace de temps; elle veut qu’on ait des intervalles de soleil assez grands pour sécher les javelles avant de les lier, car si Ja paille est encore humide quand on lie les gerbes, elle moisit à l'endroit du lien; enfin elle veut que les gerbes aient acquis un degré de dessiccation complet avant d’être recouvertes La réunion de ces circonstances est quelquefois impossible , et l'on éprouve l'inconvénient d’avoir des blés germés.
En visitant quelques établissements agricoles, avec notre collègue Demesmay, j'ai eu occasion de voir , chez M. Herbo, cultivateur et distillateur, à Templeuve, une méthode qui n’est point nouvelle, mais qui est assez peu répandue pour qu’il soit utile de la faire connaître plus généralement , et d’en indiquer les avantages : M. Herbo, qui fait partie de notre section d’a- griculture, nous a dit employer cette méthode depuis bien des
( 105 ) années , et la tenir d’un cultivateur qui habitait l’Artois (Pas-de- Calais).
Cette méthode consiste à ne point laisser séjourner les ja- velles, et à les ramasser aussitôt qu’elles sont formées; les hommes ou les femmes chargées de mettre les javelles en mont, suivent les piqueteurs ( ceux qui abattent le blé avec la pique et la sape); ils dressent d’abord deux javelles, en forment une gerbe centrale, en la liant selon la méthode ordinaire , si la paille est suffisamment séchée. Dans le cas contraire , ils ne font que maintenir les tiges, en les embrassant au-dessous des épis au moyen de deux ou trois d’entre elles, dont on se sert au lieu de paille. Cela fait, autour de cette gerbe centrale on dispose huit javelles qui formeront quatre gerbes, mais qu'on ne lie point; on a la précaution de les tenir séparées au moins deux à deux, afin de pouvoir les reprendre sans confusion, et en former des gerbes quand sera venu le moment de les em- porter à la grange ou d’en former des meules. Autour de ces quatre gerbes, on en dispose dix autres également formées de deux javelles non liées et tenues séparées.
Le mont ainsi constitué, on le recouvre par deux gerbes renversées , liées, et dont les tiges sont écartées à leur extré- mité , de manière à recouvrir complètement les monts.
Les deux gerbes renversées sont unies par un lien, qui les serre au-dessus des épis des gerbes dressées, et laisse au-dessus de lui à-peu-près le tiers des gerbes renversées.
Un autre lien les serre inférieurement en embrassant tout le mont, vers la moitié de la hauteur des gerbes dressées.
D’après le témoignage du cultivateur habile qui emploie la méthode que nous décrivons, les ouvriers exercés établissent les monts aussi promptement que ceux qu’on appelle meulettes , c’est-à-dire ceux qui sont formés de gerbes liées et recouvertes par des gerbes renversées.
({ 106 )
Voici maintenant les avantages des monts en gavelles , c'est- à-dire de ceux dans lesquels les gerbes n’ont point été liées.
Les tiges, n'étant pas étreintes par un lien, peuvent se sécher plus facilement; on peut les couvrir avant qu’elles soient par- venues à l'état de siccité parfaite ; de plus, le grain est suscep- tible, quand les tiges ne sont point serrées, d'acquérir le dernier degré de maturité en monts.
Il résulte de là qu’on peut couper les céréales quatre à cinq jours avant la maturité, et qu’on peut couvrir immédiatement les monts; deux avantages considérables.
En coupant plus tôt on obtient plus de temps pour faire la moisson : les premiers blés sont coupés non mürs , ceux qu’on prend ensuite sont précisément en maturité, il n’y a que les derniers qui dépassent un peu la maturité, mais ils la dépassent à peine. Cette distribution est d’une utilité immense pour les pays de grande culture ; elles sont aussi d’une grande utilité dans les années pluvieuses ; on obtient ainsi plus de facilité pour choisir le moment d’abattre les blés.
La propriété qu'ont les javelles de sécher en monts. propriété qui permet de les relever et de les couvrir aussitôt qu'elles sont sapées, et avant leur entière dessiccation , est aussi infiniment précieuse dans les années pendant lesquelles la moisson est contrariée par les pluies ; car il n'arrive presque jamais que la pluie soit si continue qu'il n’y ait des éclaircies pendant lesquelles on peut très-facilement couper, relever les javelles, et les cou- vrir; on n’est point obligé de les sécher, on n’est point obligé de les lier, l'ouvrage est aussitôt fait. Ainsi, couper plus tôt et choisir mieux son temps , ne pas étendre ni sécher les javelles, ne pas prendre le temps de les lier , assure une bonne moisson dans les années les plus calamiteuses.
Une fois les monts en javelles formés , ils peuvent rester sur le champ pendant plus d’un mois, sans craindre les intempéries.
Les avantages que j'ai signalés me font penser que nos
{ 407 )
agriculteurs feront bien d'essayer et d'adopter la méthode des monts en javelles. Ce n’est pas qu'il faille proscrire les autres méthodes : Celle qui consiste à faire des monts non couverts , est bonne quand on dispose d’un grand nombre de bras, et dans les années où le temps est bien sûr. Mais il faut convenir qu'il est bien rare qu’on puisse compter sur une longue série de beaux jours dans notre arrondissement. Celle qui consiste à faire des meulettes couvertes est assurément précieuse, mais comme il faut presque un aussi long temps pour établir les meulettes que pour former les monts en javelles, il n’y a guère d'avantages à la préférer.
Selon moi, voici ce qu’il y a de mieux à faire : il faut com- biner plusieurs méthodes. On reconnait qu'il est utile de hâter le moment de la moisson. À cette fin, on coupe le blé trois à quatre jours avant sa maturité, et on adopte les monts en javelle. Pendant qu’on a coupé une partie des blés, le reste a acquis sa complète maturité; on les abat à leur tour, et si l’année est belle , on peut se contenter des monts simples ou des meu- lettes ; si l’année est pluvieuse , on continue à former des monts en javelle. Je pense que, par ces combinaisons, on aura tous les avantages possibles, et jamais on ne courra le risque de perdre les grains par la germination si fréquente et si prompte en certaines années.
Si la Société partage cette pensée , je l’engagerai à inviter sa Commission d'agriculture à faire des essais l’année prochaine, et à faire connaitre le système des monts en javelle, dans le cas où les expériences confirmeraient les espérances qu'ils me font concevoir. Je n’ai pas besoin de dire que la commission aura surtout à voir la manière dont procède notre collègue, M. Herbo, et à s'assurer chez lui des résultats de la méthode qu’il met en pratique.
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RAPPORT DE LA COMMISSION D'AGRICULTURE
SUR LA QUESTION DES TOURTEAUX, DES BESTIAUX, ET DES GRAINES OLÉAGINEUSES.
SÉANCE GÉNÉRALE ou 4 quix 14841.
MEssteurs,
Les agriculteurs de votre arrondissement se plaignent d’une trop grande importation de graines oléagineuses, de l’expor- tation trop facile des tourteaux résidus de ces mêmes graines, et s'inquiètent de la question des bestiaux, qui préoccupe aujourd’hui la Presse , les Chambres et le Ministre.
Telles sont les questions dont votre Commission d’agricul- ture a pris l'engagement de vous entretenir , pour en demander la solution à la sagesse habituelle de vos délibérations.
Loin de nous la pensée de vouloir récriminer ici au nom des agriculteurs; ils n'ignorent plus aujourd'hui que si l’in- dustrie manufacturière ne peut se passer d'eux, celle-ci, en retour , concourt à la prospérité de l’agriculture en employant les produits de leurs récoltes; nous examinerons toutefois si cette mutualité de services réciproques n’a pas été imprudem- ment rompue, dans l'intérêt exclusif d’une industrie, au
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détriment surtout de l’agriculture, et pour la plus grande prospérité seulement des sols étrangers. À cet égard, les observations de votre Commission n'auront d'autre but que de réclamer , en faveur de l’agriculture nationale , une part de ce sentiment de justice distributive que nous aimons à recon- naître dans les actes administratifs du Ministre du commerce et de l’agriculture.
De temps immémorial , il existe dans l'arrondissement de Lille une industrie à laquelle nous ne prétendons rien ôter de l'intérêt qu’elle doit naturellement inspirer , puisqu'elle s'exerce sur un produit immédiat de l’agriculture , au profit d’une classe industrielle , laborieuse et intelligente , bien faite pour mériter aussi nos sympathies.
Nous voulons parler de la fabrication des huiles de graines oléagineuses.
Cette fabrication , alors qu'elle travaillait avec un peu plus de graines indigènes, offrait effectivement un double intérêt à l’agriculture nationale : d’abord , un placement certain, avan- tageux et prompt des graines, produit des récoltes de nos cul- tivateurs ; de plus, des résidus connus sous le nom de tourteaux, éminemment propres à nourrir les bestiaux et à fertiliser le sol, en les répandant à sa surface.
Mais aujourd'hui que les droits de-douanes, à l'entrée des graines de lin principalement , ont été successivement réduits à un simple droit de balance;
Que les droits à la sortie des tourteaux ont été enlevés ;
Que , par suite de ce changement dans les tarifs, l’importa- tion des graines oléagineuses s’est élevée jusqu'à 28,311,417 kilogrammes, et l'exportation des tourteaux , dont les prix ont doublé, à 25,693 kilog., n’est-il pas vrai de dire que l'alliance a été violemment rompue entre l’industrie agricole et l'industrie
8
( 110 ) manufacturière , pour la plus grande prospérité seulement des sols étrangers ?
Les agriculteurs demeurent persuadés que ces 28,000,000 de graines oléagineuses importées se substituent à celles que nos champs pourraient fournir, et que les nombreux tourteaux fabriqués au moyen de ces mêmes graines sont enlevés par les étrangers à nos besoins les plus impérieux.
En effet, que dirait-on si, dans un temps de disette, alors que le pain est arrivé à un prix trop élevé, les blés étrangers venaient se faire moudre et panifier en France, pour être aussitôt réexportés. L'administration le souffrirait-elle? Évidemment non; pourquoi n’aurait-elle pas la même sollicitude à l'égard des tourteaux que, rigoureusement, l’on pourrait appeler le pain des bestiaux soumis à l’engraissement, lorsqu’elle-même est en peine de moyens pour procurer aux populations de la viande à bas prix ?
Nous ne méconnaissons pas, toutefois, l'intérêt que le pays peut avoir à exporter en plus grande quantité des produits de son industrie; mais l'application du principe que nous allons poser nous paraît un devoir plus rigoureux encore.
Que nous considérions les tourteaux comme engrais fertili- sants, ou comme nourriture propre à l'élève et à l’engraisse- ment des bestiaux, ils sont devenus aujourd’hui un élément puissant de travail et de reproduction , et en bonne économie politique, il est de principe rigoureux de chercher à modérer l'exportation de ces sortes d'objets, pour les laisser entre les mains des producteurs nationaux, au meilleur marché possi- ble. Ce principe n’a jamais cessé d’être appliqué en Belgique. La sortie des engrais y est prohibée, et son agriculture n’est certainement pas moins riche que la nôtre.
Or, il importe aux progrès de l’agriculture que le prix des tourleaux ne soit jamais assez élevé pour en interdire l'emploi
(411)
aux cultivateurs, et c’est surtout en envisageant leur récla- mation sous le point de vue de la nourriture du bétail, que votre Commission a cru devoir l’appuyer plus particulièrement. Car nous pensons qu'il y a quelque chose d’irrationnel dans cette méthode, d'employer directement les tourteaux à ferti- liser le sol, sans préalablement les avoir fait servir à l’alimen- tation des bestiaux , puisqu’en dernier résultat , ils se trouvent dans un état mieux approprié encore à le féconder; ce n’est donc que dans des cas exceptionnels, que le premier moyen devrait être employé par les cultivateurs; pour la culture du tabac, par exemple, celle de la betterave et quelquefois du lin.
Quoi qu’il en soit, nous le répétons, il importe essentielle- ment à la prospérité et à la tranquillité du pays, que le prix des nourritures , aussi bien pour le bétail que pour l’homme, ne soit jamais trop élevé; car envers le premier , les nourri- tures étant trop chères, la perte que nous donnerait sa tenue deviendrait encore plus considérable, et par suite, l'engrais qui, seul, solderait le déficit, augmenterait de prix chaque aunée, et en même temps le prix des récoltes qu'il aurait servi à produire.
Le résultat d'un pareil état de choses serait déplorable ; il ferait entrer l’agriculture dans un cercle vicieux (1), dont il lui serait bientôt impossible de sortir , si ce n’est en revenant à
(x) « Le défaut d'engrais, dit M. de Dombasle , forme pour le cultivateur qui » veut améliorer ses produits, un cercle vicieux qui met long-temps toute son » industrie à une rude épreuve ; en effet , le fumier est nécessaire pour reproduire » le fumier, car c’est par des engrais plus abondants que l’on peut accroître la » masse des pailles et des fourrages. La terre manque de fertilité, parce que les » fumiers ne sont pas assez abondants. Ceux-ci manquent, parce qu'il n’y a pas » assez de fourrages.
» Enfin, les récoltes sont misérables, parce que la terre manque de fertilité, o et l'on ne peut jamais sortir de ce cercle, »
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l'improductif système de la jachère. dernière ressource des localités dépourvues de bestiaux, d'engrais et de population. D'ailleurs , vous le savez tous , Messieurs , hommes de science, cultivateurs, économistes ou artistes, personne dans cette enceinte n'ignore qu’il n'y a point d'agriculture sans engrais, et qu’il n'y a point de bétail possible, lorsqu'il manque de nourriture ou que les prix en sont trop élevés. Ce sont là des vérités telles qu'il semble superflu de les énoncer.
Mais, dira-t-on , si l’industrie des huiles vend chèrement ses résidus , elle peut mettre un plus haut prix aux graines oléagi- neuses, produit des récoltes du cultivateur.
D'abord , ce raisonnement pourrait être rétorqué contre les fabricants d'huile , en leur disant : Lorsque vous nous donnerez, vous, vos tourteaux à bon marché, nous pourrons vous laisser aussi nos graines à plus bas prix. Mais ce sont là, Messieurs , des paroles oiseuses, car si depuis quelque temps le prix des graines oléagineuses s’est élevé, il faut l’attribuer à une succes- sion de récoltes manquées sur le sol national, et le cultivateur est alors dans l'impossibilité matérielle de pouvoir profiter de l'élévation des prix. Et d’ailleurs, dans aucun cas, la compen- sation ne saurait avoir lieu pour le cultivateur, parce que la plus value de la quantité de tourteaux qu'il est obligé d'acheter pour suffire à tous les besoins de son exploitation, soit pour engrais, soit comme nourriture , surpasserait toujours de beau- coup la plus value des graines oléagineuses , produit de ses ré— coltes, tandis qu’au contraire, le fabricant d'huile, toujours protégé dans son industrie par un droit prohibitif à l'entrée des produitssimilaires étrangers, peut établir le prix de ses huiles en raison du prix des graines et de la valeur des {ourteaux; position que les tarifs refusent aux producteurs de graines indigènes. D'où il résulte que les importations qui nous arrivent de toutes les mers , surpassent déjà en quantité les 4/5 au moins de la pro- duclion nationale ; que les graines étrangères sont aujourd'hui
(183)
maitresses absolues du marché , et que nos cultivateurs n'ont plus rien à exiger quant aux prix de leurs récoltes. Ce sont les produits étrangers qui leur font la loi.
À l'égard du prix des tourteaux, ce sont encore eux et les Anglais, surtout, qui commandent sur nos marchés, en raison de l'immense exportation qui s'en fait à leur profit.
Les agriculteurs anglais les faisant servir principalement à la nourriture et à l’engraissement de leurs bestiaux et obtenant de leur bétail d'élève ou propre à la boucherie, des prix à peu près doubles de ceux que les cultivateurs obtiennent en France, l'élévation du prix des tourteaux ne saurait les obli- ger à s'en passer, lorsque nous sommes forcés de nous en priver, pour ne pas être trop en perte dans l'éducation du bétail.
L’agriculteur belge, moins pauvre que l’agriculteur francais, plus à même que lui de faire des avances à sa terre, en s'ar- mant aussi d'une partie de nos tourteaux, pour activer une agriculture moins imposée et plus riche que la nôtre, vient lui faire une concurrence chaque jour de plus en plus funeste.
Au moment aussi où l’administration est à la recherche de moyens pour satisfaire aux besoins du Trésor, ne conviendrait-il pas de rétablir le droit à la sortie des tourteaux ? Car , en suppo- sant que cette mesure demeure inefficace pour en modérer l'exportation , il en résulterait du moins un avantage pour le Trésor , avantage qu'il vaut encore mieux obtenir de l'étranger, que de demander aux contribuables indigènes ; mais alors, nous dira-t-on , vous n'aurez rien fait contre la sortie des tour- teaux. Soit, maïs si effectivement nous ne faisons rien, de quoi les fabricants d’huile se plaindraient-ils ?
Ce n'est ici, d’ailleurs, qu'une supposition dont le pis-aller serait une recette pour le Trésor, et l’on ne saurait s’en faire une arme contre notre réclamation, car rien ne saurait nous
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empêcher de prononcer le mot de prohibition, si l'intérêt du pays l’exigeait, malgré toute l'impopularité dont ce mot se trouve aujourd'hui frappé, et l'objection tomberait alors d'elle-même.
Eh! Messieurs, cette clause prohibitive que tous les proprié- taires font insérer dans les baux : « Que toutes les pailles » fourrages et engrais créés dans la ferme seront employés » à en fertiliser le sol, à l'exclusion de tout autre , » n’in- dique-t-elle pas assez l'intérêt qui s'attache à l’amélioration du sol, en le faisant arriver à son plus haut degré de fécon_ dité, et la sollicitude du gouvernement pour l'amélioration du sol national devrait-elle être moindre que celle des proprié- taires ? Évidemment , non; car , pour l’administration, l'intérêt de cette prohibition s'agrandit, au contraire, de toute la différence qu'il y a entre les limites d’une ferme et les frontières d’un royaume.
En faisant cette proposition, nous ne craignons pas de ren- contrer pour adversaires ceux-là même ‘qui préconisent le système du laissez faire et laissez passer , puisque c’est au nom du bon marché qu'ils le réclament. Eh ! bien , c’est pour attein - dre le même but , c’est-à-dire le bon marché d’un objet devenu d’une première nécessité, appelé à réagir naturellement dans le même sens sur tous les autres produits de l’agriculture, que les cultivateurs demandent qu'il soit posé une barrière quelcon- que à la trop grande exportation des tourteaux. Lorsque les populations se plaignent avec quelque raison du prix déjà trop élevé des bestiaux destinés à la boucherie, ne serait-il pas plus rationnel et surtout plus national, de chercher à faire baisser le prix des engrais et des nourritures destinées aux bes- tiaux , que de réclamer encore ce surcroît de production à l'in- dustrie étrangère ?
La Chambre de commerce de Marseille , lors de Ja discussion
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au sujet de la question des graines oléagineuses, a très-bien su faire ressortir l'utilité de l'introduction des graines étran- gères, sous le rapport de la grande quantité de tourteaux que la fabrication des huiles de lin laissait à l’agriculture. Mais il faut être conséquent, cependant ; car si vous les laissez s’exporter à l'étranger en trop grande quantité et à des prix tellement élevés que nos cultivateurs ne peuvent y atteindre, cet intérêt n'existe plus.
En examinant maintenant la question des bestiaux sous son point de vue agricole seulement , laissant à d’autres le soin de la traiter dans l'intérêt hygiénique, commercial, financier ou politique, nous nous fortifierons de plus en plus dans cette idée, qu’il importe aux intérêts généraux du pays, de ne pas tarder à mettre un empêchement à la sortie des tourteaux. Ces deux questions sont d’ailleurs tellement encastrées l’une dans l'autre, qu’il ne dépend pas de nous de les désunir.
Si l’on pense remédier à la cherté de la viande de boucherie en ouvrant inconsidérément les barrières, pour faciliter en France l’entrée des bestiaux étrangers, on se fait illusion, et l'on aggraverait le mal au lieu de l’affaiblir ; car on découragerait tout-à-fait l'industrie pastorale , sans aucun profit pour l’agri- culture et le consommateur.
En effet, le bétail élevé et engraissé dans les États voisins, ne peut rien ajouter à la quantité de nos engrais; rien, par conséquent , à la fertilité de notre sol, et ne saurait avoir aucune influence heureuse sur le prix de la viande. L’élévation du chiffre des droits de douanes , dans la question des bestiaux, en est le côté le plus étroit. Elle est avant tout une question de progrès agricoles , el tout abaissement de droits à la frontière, sans adopter en même temps des mesures propres à faire pros- pérer l’agriculture , serait inefficace à faire baisser la viande de boucherie, puisque ce droit ne l’augmente que de 4 à 5 centimes au 1/2 kilog. La production étrangère serait donc inhabile à
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l'abaisser de manière à en faire augmenter la consommation. Cela ne saurait avoir lieu , qu’autant que l’agriculture nationale créerait elle-même son bétail, et si elle ne remplit pas encore cette première et noble mission, de suffire à toute l'alimentation : de la population , soit en blé, soit en viande, la faute, car c'en est une, ne saurait lui être imputée, mais bien à des mesures législatives qui portent obstacle à la prospérité de certaines industries agricoles obligées de s’adjoindre, comme une annexe indispensable , l'élève ou l’engraissement des bestiaux ; peut- être aussi au peu de soin que l’on apporte à empêcher la trop grande exportation de certains produits de première nécessité, propres à nourrir le bétail et fertiliser le sol.
Tout le monde sait aujourd’hui que la Belgique , la Hollande et les États d'Allemagne , doivent la surabondance de leur bétail et la richesse de leur agriculture , qui en est une conséquence , aux nombreuses industries agricoles, depuis long-temps dissé- minées sur leurs territoires , et que c’est au moyen de ces indus- tries que nos voisins font des bestiaux et des engrais pendant douze mois de l’année, lorsque nous n’en pouvons faire que pendant six mois au plus.
Nous savons aussi et nous nous plaisons à le reconnaître avec M. le Ministre, qu'il ne dépend pas du gouvernement seul de faire que tous les avantages que l'agriculture doit attendre de l'élève des bestiaux se réalisent : la première condition, c’est qu'il faudrait que l'agriculture passât à l'état commercial et industriel, et que les capitaux vinssent la féconder ; et c'est parce que, vous aussi, Messieurs, vous étiez bien pénétrés de cette pensée , que l’année dernière , vous avez réclamé avec tant d'instance contre le projet de supprimer les fabriques de sucre indigène.
Il ne suffit pas non plus, pour faire prospérer l’agriculture , d'entourer l'homme des champs d'une auréole poétique qui semble le rendre étranger aux besoins de la vie réelle, et répéter
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à chaque solennité que l'agriculture est le premier des arts, que labourage et pâturage sont les deux mamelles de l'État; il faudrait encore que les actes de l'administration fussent en rap- port avec ses paroles. Alors seulement les succès de l’agriculture seront assurés; elle saura créer elle-même les bestiaux dont elle a besoin pour fertiliser le sol et nourrir les populations. Produisant en plus grande quantité, elle vendra à meilleur marché ; la France se suffira à elle-même, et elle n'aura plus à demander des secours à l’étranger contre son impuis- sance.
Certainement , il serait désirable que le prix de la viande permit aux ouvriers d'en consommer un peu plus ; mais si c’est par une sympathie réelle*pour la classe ouvrière, que tant de clameurs s'élèvent du milieu des grandes villes, il faudrait commencer par y supprimer les droits d'octroi, d'abattoir, etc., qui, dans quelques-unes, ne s’y élèvent pas à moins de 15 centimes au demi-kilogramme. Ces sortes de droits sont les seuls qui frappent maladroitement tout-à-la-fois la production et la consommation ; nous pensons aussi pouvoir affirmer que l'importance de l’abaissement du droit à la frontière se trouve- rait aussitôt partagée entre le producteur étranger, qui augmentera ses prétentions , et les bouchers qui maintiendront les leurs à l'égard des consommateurs; car les premières cla- meurs sont parties du commerce de la boucherie, qui prétend ne pas gagner assez à raison des prix élevés des bestiaux.
Il est vrai de dire cependant qu’il y a quelque chose à faire ; il faudrait chercher les moyens de fournir aux nécessités ali- mentaires, commerciales et financières , sans nuire à la première des industries , l’industrie agricole.
Mais telle n’est pas notre tâche d'aujourd'hui. Nous passons à la question des graines oléagineuses.
Sous ce rapport encore , l'agriculture a été frappée dans une de ses productions.
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La loi du 28 avril 1816 avait établi un droit protecteur de 9 francs les cent kilogrammes à l'entrée des graines oléagineuses de toute espèce et de toute provenance ; peu de temps après on réduisit à un franc le droit sur les graines de lin venant en droiture des ports de la Baltique et destinées à faire semence. Cette dérogation au droit commun avait pour objet de fournir à bas prix, à nos agriculteurs , une $emence de qualité infiniment meilleure que celle indigène ; mais bientôt après, l'on est parti de là pour admettre, sous tous les rapports, une différence de traitement entre les graines de lin destinées à faire de l'huile, et les autres graines oléagineuses , et pour réduire de beaucoup, quant à elles, la protection accordée ; de sorte qu'aujourd'hui, les graines de lin de toute provenance profitent de l'exception qui, précédemment , n'avait élé admise qu’en faveur des seules graines propres à faire semence, en entrant en France au faible droit de un franc.
De ce fait il est résulté que l'importation des graines de lin destinées à faire de l'huile, qui n’était en 1834 que de 1 mil- lion 600,000 kilogrammes, s’est élevée en 1839 à 24 millions 800,000 kilogrammes; ainsi, l’agriculture est aujourd’hui vic- time d’une exception qui avait été établie à son profit. Il eût été plus équitable, ce nous semble, de faire rentrer dans la règle générale , sous le rapport de l'élévation du droit, toutes les graines de lin destinées à faire de l'huile, et de conserver l'exception du faible droit en faveur de celles venant en tonnes directement de Riga; l'exception se justifie d’ailleurs assez, parce que la semence étant aussi un instrument de travail, un élément de reproduction , il importe qu’elle arrive entre les maius du cultivateur au meilleur marché possible. Et bien que le nouveau tarif ait abaissé les droits sur toutes les graines oléagineuses, les agriculteurs ne demandent point qu'on revienue au tarif de 1816; mais ils réclament avec instance que les droits soient égaux entre toute espèce de graines
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grasses, parce qu'il n’y a effectivement aucun motif pour em pêcher cette assimilation, en ne faisant exception que pour la graine à semer seulement. Si, cependant, il y avait de la part de l'administration impossibilité à distinguer les graines à faire de l'huile de celles destinées à faire semence, les agriculteurs consentiraient à sacrifier l’avantage du faible droit accordé à ces dernières moyennant de faire rentrer les graines de lin dans le droit commun , relativement au tarif des droits établis sur toutes les autres graines oléagineuses.
Votre Commission a pensé que les réclamations des agricul- teurs étaient fondées et quelle ne pouvait se dispenser de les appuyer auprès de vous.
L'année dernière, l’agriculture a été repoussée dans sa prétention , assez fondée d’ailleurs, d'obtenir une représenta- tion spéciale, comme il en existe depuis long-temps pour le commerce et les manufactures, et vous-mêmes, consultés par le Ministre sur l'utilité que pourraient avoir les Chambres consul- tatives d'agriculture, avez répondu que les Sociétés pouvaient suffire à cette représentation , dès l'instant où ces sociétés pren draient un peu plus souvent l'initiative des réclamations. Vous ne pouvez donc vous refuser à faire usage aujourd'hui d’une intervention que vous aviez jugé utile de réclamer, pour venir en aide aux agriculteurs, à défaut des Chambres consul- tatives.
Vous êtes d’ailleurs appelés par le Ministre à lui faire con- naître chaque année les besoins de l’agriculture de votre arron- dissement ; c'est donc avec une entière confiance que votre Commission spéciale et permanente d'agriculture vous propose de transmettre immédiatement au Ministre les doléances des agriculteurs.
Persuadons-nous bien que c’est pour n'avoir jamais été convenablement représentée, que l’agriculture est arrivée à se trouver aujourd’hui froissée entre le système prohibitif et
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celui du laissez passer. Sur tous ses produits immédiats, laines, lin, graines oléagineuses , sucre , et bientôt les bestiaux , peut- être , les droits protecteurs ont été ramenés à n'être plus qu’une protection insuffisante , lorsqu'en même temps l'on se défend de lui faire obtenir, en compensation , une diminution de droits à l'entrée d’une infinité d'objets de première nécessité pour elle, tels que fers, sel, charbon, tissus de laine, draps, etc. Les questions dont nous venons de vous entretenir sont un exemple frappant de la fâcheuse position où se trouvent les agriculteurs, par suite de nos tarifs de douanes. D’une part, l’industrie des huiles s'y trouve protégée par l'introduction presque libre des graines oléagineuses étrangères, l'exportation entièrement libre des résidus de cette fabrication , et un droit prohibitif à l'entrée des huiles étrangères , en un mot , protégée en tout ce qui peut l’intéresser ; d'autre part, les agriculteurs blessés dans leur intérêt particulier par l'introduction des graines étrangères, la prohibition à l'entrée des huiles; et l'agriculture blessée au cœur par la libre sortie d’un agent puissant de fertilisation et d'alimentation.
Que vos consciences, messieurs , se rassurent. En réclamant même certains privilèges, en faveur de 25 millions de travailleurs occupés à féconder la terre, vous ne sauriez faillir aux intértês généraux du pays; encore moins en ne réclamant pour eux qu'une part de cette justice distributive que nous nous sommes plu tout d’abord à reconnaître dans les actes administratifs de M. le Ministre de l’agriculture , et nous terminerons ce rapport en vous rappelant ces paroles du ministre de Henri EV :
» Les biens que donne la terre sont les seules richesses » inépuisables, et tout fleurit dans un état où fleurit l'agri- » culture. »
C'est donc avec conscience et conviction que votre Com- mission vous propose les conclusions suivantes, pour être
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transmises immédiatement au Ministre du commerce et de l'agriculture :
1.0 Établissement d’un droit de douane à la sortie des tour- teaux ;
2.0 Que les graines de lin étrangères soient assujéties, à leur entrée en France , aux mêmes droits que toutes les autres graines oléagineuses.
3.0 Que les droits sur les bestiaux se perçoivent au poids au lieu d’être perçus par tête, aussi bien à l’entrée des villes qu’à l'entrée du royaume.
Nota. Dans sa séance du 4 juin 1841, la Société a décidé que le rapport de sa Commission serait transmis au Ministre du commerce et de l’agriculture. La réclamation des agriculteurs a aussi été appuyée et transmise au Ministre par la Chambre de commerce de Lille , le Conseil d'arrondissement et le Conseil général du département.
Le Ministre, faisant droit à ces diverses réclamations , a soumis à l'examen des Conseils généraux de l’agriculture et du commerce, dans leur session dernière , la question des bes- tiaux , et celle des graines oléagineuses et des tourteaux.
SUR LA NÉCESSITÉ
ET LES MOYENS DE RENOUVELER L'AIR DES ÉTABLES,
Par M. Demesmay, Membre associé Agriculteur.
Une note du docteur Testelin a indiqué, comme cause de la pommelière , l'air vicié qui règne dans les étables. J'ai pu m'’as- surer que celte cause ne produit pas seule la cruelle maladie qui a été la ruine de tant de cultivateurs et agit toujours de la manière la plus funeste. En général, la construction de nos étables est vicieuse; dans un but d'économie mal entendue, on leur donne trop peu de hauteur; chaque vache a à peine un espace d'air de dix mètres, et le double de ce volume est ce que, dans la construction des hôpitaux , l’on croit nécessaire pour un homme, dont les poumons ont une bien moindre capacité. À ce peu d’espace il faut ajouter la difficulté de renouveler l'air et aussi le préjugé, généralement répandu , que la chaleur est nécessaire à la production du lait ou bien à l’engraissement. Sans doute, pour qu'une vache fournisse tout le lait qu'elle est susceptible de produire, pour qu'elle s'en- graisse avec promptitude , il faut qu’elle n’ait point à souffrir du froid ; mais autre chose est de souffrir du froid ou de res- pirer un air chaud et humide, vicié par les gaz délétères que la chaleur fait naître en si grande abondance , quand elle agit sur des matières organisées de facile décomposition.
Avec des étables de deux mètres de hauteur, on ne peut introduire de l’air, sans que cet air ne vienne frapper direc-
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tement le corps des bestiaux. Une porte ouverte derrière une vache et une lucarne ouverte à la hauteur de sa tête établis- sent un courant d'air qui pourrait lui occasionner une pneu- momie , et, pour éviter ce courant d'air, qui est le seul moyen d’aérage, on bouche les lucarnes et on ferme les portes. De là résulte un air difficilement respirable, dans lequel la propor- tion d’oxigène devient insuffisante ; de la surtout résulte une température élevée, qui hâte la décomposition des matières stercorales et produit une dose d’ammoniaque, excitant au plus haut degré le larmoiement et agissant sans doute d’une ma- nière fâcheuse sur le tissu pulmonaire. Quand ces circon- stances ont lieu , on peut être certain que la santé des vaches doit souffrir.
À mon début dans la carrière agricole, j'éprouvai le funeste effet des étables mal construites; toutes mes vaches furent successivement atteintes de la pommelière, et entendant dire que cette maladie régnait épidémiquement dans le département, je pris le parti de ne conserver que les vaches strictement nécessaires pour les besoins du ménage.
Celles-là , placées en petit nombre dans une vaste étable, se conservérent très-saines. Après un an, la nécessité de faire du fumier me décida à remplir mes étables de toutes les bêtes à cornes qu’elles pouvaient contenir. Je fis venir des bœufs maigres de Franche-Comté, dans le but de les engraisser ; c'était une précaution contre le danger d’acheter des bêtes ayant séjourné dans une étable atteinte par l’épizootie. La pommelière ne tarda pas néanmoins à s'emparer de mon trou- peau, et je fus encore obligé de vendre mes étables. Le mal avait même déjà fait alors des ravages d’autant plus promplis, que les bêtes que j'avais étaient de plus grande taille, soumises à un régime alimentaire plus abondant et que la température des étables s’en exaltait davantage.
Je fus encore quelques années avant d’avoir des bêtes à
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Depuis, la pommelière n’a plus reparu; la mortalité a été nulle, puisqu'elle n’a atteint qu'une bête sur 50; encore cette bête s’était-elle météorisée, après avoir mangé du trèfle vert. Pour arriver à un aérage convenable, j'ai pratiqué une cheminée au-dessus de la tête de chaque bête, et pour cela, il m'a suffi d'enlever la paille sur tout le pourtour du chenil. Pendant la saison froide , l'ouverture ainsi pratiquée n’a pas besoin d’être grande, parce que la moindre température rend la fermentation des fumiers moins active; mais aussitôt que l'odeur ammoniacale se fait sentir, j'augmente les dimensions de ces cheminées, en enlevant quelques bottes de paille, et puis, quand la température devient douce, je fais sortir chaque jour les vaches de leur étable pendant quelques heures. L'exercice qu’elles prennent en plein air leur est salutaire et le temps qu'elles passent hors de l’étable permet de nettoyer celle-ci complètement et d'en expulser tout l'air, si vicié qu’il puisse être.
Un distillateur de mes voisins, qui se livre à l’engraisse- ment des bestiaux avec beaucoup de succès, avait aussi souf- fert de la pommelière , et le mal était chez lui devenu si grand qu’il avait dû remplacer ses bêtes à cornes par des cochons, Depuis , ayant porté la hauteur de ses étables à 3 mètres et ayant pratiqué des lucarnes d'aérage à 2 mètres 50 centimètres du sol, il a repris des bêtes à cornes, sans que la pommelière reparût. L’engraissement , d'ailleurs , a marché avec la même promptitude, quoique la température ait été fort abaissée par le courant d’air , qu'il rend plus ou moins actif, selon le besoin.
La chaleur excessive et l'odeur ammoniacale , voilà ce qu'il
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faut éviter. Que l'on y arrive par des lucarnes placées à 1 mètre au-dessus de la tête des bêtes, ou par des cheminées donnant issue à l'air qui sort de leurs poumons, peu importe. Il faut seulement que ces moyens d’aérage soient suflisants en toutes circonstances, qu'on puisse en varier l’énergie, selon la température , en modérer l’action, quand il fait froid et que la fermentation des fumiers n’est point à craindre, et la rendre, au contraire, fort active , quand la température s’élève.
N'ayant point étudié les circonstances hygiéniques de nos chevaux de cavalerie , pour lesquels la mortalité est si grande, malgré les soins dont ils sout l’objet , je ne me hasarderai pas à attribuer à la même cause les fréquentes maladies dont ils sont victimes; j'appelle seulement l'attention sur cet objet, et je m’étonnerais fort qu'on n’arrivät point à une mortalité moindre, en soignant l’aérage des écuries mieux qu’on ne l’a fait jusqu’à ce jour.
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RAPPORT
SUR LES QUESTIONS POSÉES
Dans la circulaire de M. le Ministre du commerce et sur les vœux émis par le Conseil général du département, dans sa session de 184r, par une commission composée de MM. DELEZENNE, Hermann, De Contencin, Dounzex et Thém. Lesrisoupois , rapporteur.
SÉANGE DU D NOVEMBRE A841.
MESSIEURS ,
La Société royale des sciences, de l’agriculture et des arts de Lille a été appelée à faire connaître sa pensée sur les di- verses questions formulées par M. le Ministre de l’agriculture et du commerce, dans la circulaire qu'il a adressée aux Conseils généraux.
Déjà elle a fait parvenir à M. le Préfet du Nord ses études sur la plus importante de ces questions , celle des bestiaux.
Les